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30 avril 2014 3 30 /04 /avril /2014 11:54

 

C’était pendant une fin d’après-midi de juillet. L’orage grondait mais la pluie ne voulait pas tomber. On entendait ses roulements de tonnerre, on voyait ses éclairs s’allonger entre les lourds nuages noirs et les ombres des promeneurs attardés devenaient fantomatiques pendant les intenses éclats de lumière. Les pavés exhalaient des senteurs tièdes de granit comme si l’orage laissait déjà les preuves de son passage imminent. Chacune des pierres avait une sensation de passé historique mais les tintements de nos pas étaient nos hymnes à la gloire du présent.

 

Tu voulais à tout prix me faire connaître ta meilleure copine. Doucement, tu m’entraînais dans les méandres des ruelles, aux alentours du palais de Jacques Cœur, parce qu’elle habitait une mansarde dans le quartier.

 

Des coups de vent frisquets, annonciateurs de l’orage, balançaient les enseignes des vieux métiers et c’était un concert de chaînes rouillées comme des successions de publicités geignardes. Libérés, des effluves de caniveaux s’échappaient dans la rue en laissant des traînées olfactives malodorantes. Des troupes de pigeons apeurés cherchaient refuge sous les toitures médiévales et les claquements désordonnés de leurs ailes étaient comme des supplications animales.

 

Moi, je renâclais pourtant à ta requête de rendez-vous. Je savais cette mauvaise fréquentation de copinage tellement dominante sur tes faits et gestes. Si j’étais ton preux amant, elle était ton grand gourou.

 

Tu avais un bandana dans les cheveux, un peu comme ceux des corsaires dans les films au ciné. Il retenait ta coiffure dans une forme de vague blonde qui s’arrêtait à l’orée de tes yeux si bleus. Un chemisier de dentelle ajourée habillait tes épaules et ses couleurs imprimées s’harmonisaient naturellement avec ton foulard de flibuste.

 

Je portais un tee shirt blanc ainsi qu’un vieux jean recousu d’une vingtaine de pièces de tissu bigarré ; dans les passants, j’avais glissé un foulard multicolore, un de ceux que nous avions acheté ensemble, dans l’après-midi. Il était devenu notre étendard, notre fanion, et je le portais avec la fierté d’un chevalier arborant les couleurs de notre excursion. Je me voulais baba cool, avec le genre qui s’harmonise bien avec le Woodstock et les années peace and love de l’époque, mais mes cheveux courts trahissaient encore mon appartenance à la Marine.

 

Enfin, nous sommes arrivés devant la porte de chez ta copine. Toi, tu tirais sur ma main pour m’enrôler de force dans ton caprice de fin d’adolescente.

 

C’était un repaire de brigands et de va-nu-pieds ! Dans l’atmosphère confuse des bougies vacillantes, j’avais l’impression que toute la faune de la vieille ville s’était donnée rendez-vous sous ce toit. Des ombres louches dormaient à même le plancher, d’autres souriaient bêtement au milieu de leur fumée opaque. Des bâtonnets d’encens diffusaient des senteurs exotiques en s’accrochant dans la charpente noircie. Partout, on murmurait des messes basses, on parlait de route, de Katmandou, de Goa, on fredonnait des refrains de Santana, de Jefferson Airplane, de Neil Young, je crois même qu’on s’étreignait sur des vieux matelas. Au coin d’un rideau, aux incrustations de perles hindoues, un type hirsute déclinait quelques arpèges de guitare en laissant courir sa main sur le manche. Dans le réduit de la cuisine, ta copine nous préparait un semblant de repas tandis que son bonhomme partait au ravitaillement de stupéfiants pour fêter dignement vos retrouvailles.

 

Toi, tu es partie discuter avec ta copine ; moi, je voulais quitter cette maison bleue adossée à ce palais ; je n’étais pas solidaire de cette ambiance, de ce traquenard de grande messe noire. Comme une bouée de sauvetage, j’avais repéré une lucarne et je m’accrochais à elle avec une forme de désespoir patient. Dehors, l’orage organisait sa partition bruyante sur la gamme des tuiles rougissantes. Impuissant, j’assistais au défilé des nuages noirs défiant les nuages blancs. En face, les vénérables gargouilles posées sur le palais semblaient se moquer de mon désarroi…

 

Un type louche, franchement d’une autre galaxie, (la planète chichon trois, ai-je compris) s’est approché de moi et m’a tendu un reste de mégot rougeoyant comme si c’était une offrande digne d’un roi. Il souriait, toutes dents sorties, (enfin, celles qui lui restaient) comme s’il m’invitait à voyager sur son étoile filante !...

Oui, j’ai tiré dessus ; je devais faire comme tout le monde pour prouver que j’étais un véritable hippy, au milieu de tous ces zonards ! Merde ! J’avais ma réputation à défendre et toi à impressionner !... Et puis, vivre sans une exaltation planante, c’est comme dormir sans jamais rêver… Un instant, je t’ai vue, enfin, celle d’avant l’orage, celle des bisous mouillés et des je t’aime en rafales, puis tout s’est brouillé…

 

Un voisin, de l’immeuble d’en face, accoudé à une fenêtre, surveillait toutes les allées et venues de l’appartement. Je ne comprenais pas comment il pouvait rester aussi longtemps dans la même position ; c’est sûr, il devait être entraîné... Les gouttes de pluie courant sur la vitre semblaient pourtant l’animer d’intentions curieuses. Et quel était cet accoutrement d’un autre siècle si près de mes questionnements inquiets ? Etait-il un flic déguisé de la brigade des stups, un espion à la solde d’un revendeur de came, un ersatz d’humain falsificateur, une chimère à tête de sculpture inquisitrice ?...

 

Tout à coup, une sirène a retentit dans le quartier ! Militaire, je me devais d’être à la hauteur des circonstances ! Autoritaire, j’ai pris les commandes du fait divers et j’ai gueulé à tous les invités :

 

« Un panier à salade ! Un panier à salade ! Ils viennent nous embarquer, c’est une rafle ! Vite, les femmes et les enfants d’abord ! Cachez-vous derrière les fenêtres ! Bouclez les allées, cadenassez les portes, préparez les munitions ! On va leur balancer les boules Quies de nos hôtes, toute la série des Pif Gadget, les boîtes de bières vides, la collection des Union que j’ai vue sur l’étagère, les disques d’Adamo !... Oui, le pop-corn, les chips et les olives aussi !...

Les femmes ! Allez puiser de l’eau au robinet, déchirez les draps et préparez des pansements !... Rationnez la bouffe, établissez un tour de garde, donnez à manger aux chevaux !... » Sur les matelas, c’était la débandade…

« Quoi, tu veux préparer une ligne ?... Une ligne de défense ?... Quoi ?... Que j’arrête de vous seringuer ?... Quoi, tu veux faire un joint ?... Ha, chiche ou pas chiche ?!... Quoi ?... Je kif à donf ?... » Même mes soldats me parlaient dans une langue étrangère…

 

« Quoi ?... Un pétard ?... Vaudrait mieux de la dynamite pour endiguer la furia de ces assaillants affamés !... Shit !... Non, chut !... Quoi ?... C’est de la bonne ? De la bonne… du curé ?... Ha, ha !... Quoi ?... Ils veulent parlementer ?... Une monnaie d’échange ?... Envoyez-leur toutes nos pucelles !... Quoi, on n’en a plus ?... J’étais triste, je crois même que j’ai pleuré à cet instant…

Première vague ! Lancez les fourchettes, les couteaux et les petites cuillères !... Deuxième vague ! La farine, l’huile bouillante et les sucres en morceaux !... Les troupes d’élite, envoyez le service à café !... Les troupes des litres, toutes les bouteilles vides non consignées !... Ha, ils nous font chier, ces cons ! Lancez les rouleaux de PQ enflammés dans les escaliers !...

 

En pleine bataille, le type d’en face, l’emmuré dans sa fenêtre, se foutait de ma gueule ; il y avait dans son faciès un je ne sais quoi qui disait : P’tit con, j’en ai maté des plus durs que toi, t’a la trouille, hein ?... Ou plutôt : j’ai un carré d’as et toi, qu’est-ce que tu as dans ton slip, une paire de quoi ?… Je lui faisais des grimaces en morse, mes pires, celles qui m’ont valu le premier prix de biniou au festival bisexuel de la choucroute à Villars-de-Lans-Plage…  

 

J’étais en pleine euphorie délirante ; mon sang bouillonnait, ma tête cognait et je voyais mes veines se gonfler à vue d’œil. Au pipeau, Maxime Leforestier jouait « Jeux interdits » et Narciso Yepes tentait « Stairway to heaven » avec deux doigts… Des dragons déguisés en policiers ailés s’accrochaient aux branches du palais, juste en face.  Avec leurs sifflets stridents, ils gazouillaient comme s’ils cherchaient leurs nids. A cet instant, j’ai trouvé qu’ils étaient hypocrites parce que l’orage laissait ses traces de pluie même à l’ombre…

 

Après, je ne sais plus, c’est toi qui me l’as dit. Il paraît que j’ai couru sur les toits dans le plus simple appareil pour ne pas qu’on me reconnaisse. Le condescendant graniteux, je voulais le condescendre à coups de tête ! J’ai hissé l’étendard de ma ceinture sur l’antenne de télé de la châtelaine qui nous abritait, j’ai pissé dans toutes les cheminées pour éteindre les feux des assiégeants, j’ai fait des bras d’honneur aux vacanciers ahuris, ceux tellement remplis d’allégeance envers ce Jacques Cœur, mais on m’a raconté tout cela ou alors c’est la légende qui court depuis, bien plus vite que les ragots, entre les créneaux de la vieille ville de Bourges…  

 

En fait de sirène de flics, c’était l’ambulance qui venait récupérer un papy qui partait à sa séance de balnéothérapie quotidienne ; oui, son bain de pieds à l’eau salée. (Eau chaude, trente-cinq degrés et gros sel, calibre douze) Tu parles d’une boulette… Pourtant, je ne m’en tenais pas quitte ! Longtemps, j’ai voulu déboulonner ce grandiloquent de courant d’air, ce chevalier de maison close, ce matador de porte cochère, ce prétentieux empierré, lui et ses sourires de monsieur je sais tout. Je voulais le foutre par terre et le réduire en poussière, cet espion de bas étage !...

 

Il n’empêche ; je n’ai plus jamais touché à ces clopes bizarres de quatrième dimension, ces roulées aux cinq feuilles. Je suis resté sagement un fumeur de gauloises bleues ; Tant qu’à choper un cancer, autant qu’il fût officiel, breveté SEITA et remboursé par la sécu.

 

Toi et moi, ça n’a pas tenu ; nos fréquentations étaient trop différentes, trop exubérantes, trop ébouriffantes et puis, va savoir pourquoi, ta copine ne voulait plus me recevoir. Aujourd’hui, à l’heure de mes cheveux blancs, de ma canne hésitante et de mes blessures ordinaires, il me reste quelques couplets des chansons de Leforestier, de Yves Simon, au bout des lèvres, quand je pense à ces souvenirs épiques si près, si près du palais… du sieur Jacques Cœur…

 

Pascal. 

commentaires

A
Et dire que certains veulent rendre de cette saleté libre . Ils devraient lire ton texte :)
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V
Depuis on a fait le printemps de Bourges... et ça fume toujours autant :)
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J
Une sacrée cure de désintoxication... des souvenirs de cette époque glorieuse !<br /> &quot;peace and love&quot;
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B
Tu lui dois quelque chose à cette copine, elle t'a guéri du pétard à jamais .
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