31 mai 2015
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Voilà exactement deux mois que Blanche - qu'on appelait Cappucetto Rosso ou petite cape rouge - se repose (et les lecteurs aussi) depuis qu'elle s'est endormie, adossée à une grande rame de haricot écossais à écosser - un tartan d'Edimbourg - aussi est-il grand temps qu'elle se réveille... ou alors qu'elle s'endorme à jamais.
Deux mois que sa marâtre ronge son frein au château dans l'attente d'ingrédient ou deux pour confectionner son masque de beauté de Cesare Frangipani... etc (on ne va pas tout répéter non plus)
“Nom d'un petit pot de beurre” baille Blanche en s'étirant “j'ai l'impression d'avoir dormi dix ans!”
“Ça m'étonnerait fort” répond une voix toute proche “vous avez à peine dix ans”
Etonnée, Blanche découvre un fringant écuyer, un de ces jeunes imberbes vêtu de rouge et bleu et coiffé d'un chapeau comme on n'ose en porter que dans les contes et dans les jeux de cartes.
“Quésaco?” demande en provençal Blanche à qui sa great-mother-fucker a conseillé de se méfier des fringants écuyers imberbes.
“Je suis La Hire mais appelle-moi simplement Lahire” répond-il en se découvrant “compagnon d'armes de Jeanne d'Arc mais appelle-la simplement Pucelle et je suis valet de coeur atout et avant tout!”
“Le copain d'une pucelle?” s'esclaffe Blanche “et moi je suis la Reine de coeur, gros naze”
“Reine de coeur, assurément” réplique l'écuyer toujours fringant et toujours imberbe “toute jeune que vous êtes je vous ai reconnue, vous êtes la Reine Judith... quant à moi je suis Lahire et pas Gronaze!”
Sidérée, Blanche se cramponne à sa rame de tartan d'Edimbourg :”Tu commences à me courir sur le haricot avec ta Judith! Je me nomme Blanche ou Cappucetto Rosso ou à la rigueur petite cape rouge mais pas Judith, valet de coeur de pacotille!”
“Pourtant vous portez l'habit rouge et bleu ainsi que le voile bleu de la Reine de coeur” rétorque t-il.
“Où t'as vu jouer ça?” s'emporte Blanche qui en oublie son provençal.
“Mirez-vous donc dans cette pièce d'eau” rétorque l'écuyer imberbe mais astucieux “et vous vous verrez telle que je vous vois, ma Reine”
“Ça suffit à la fin! Je suis Blanche et pas Marennes”
Alors Blanche lâche sa rame, s'approche de la pièce d'eau et s'y penche.
De l'autre côté du miroir improvisé, une créature semble en faire de même - une greluche sapée de rouge et bleu et d'une burqa bleue - lui renvoie un timide sourire en lui tendant une rose de la main droite.
“Qui es-tu, femme sans âge?” bredouille Blanche toute chose en prenant la pose et la rose.
Dans les contes, les reflets ont réponse à tout, y compris à ceux qui bredouillent.
“J'essaie d'être ton reflet” répond le reflet “celui de Judith, la Reine de coeur mais c'est pas fastoche avec cette pollution”
“Qu'est-ce que je disais?” persifle l'écuyer imberbe.
Loin d'être convaincue par cette image trouble, Blanche porte la rose à son nez pour la flairer comme on fait dans les contes et partout où on veut sentir la rose..
“Alors si je suis la Reine de coeur comme tu le prétends” minaude Blanche “qui serait mon Roi de coeur?”
“Vous ne pouvez pas ignorer notre bon Roi Charles, ma Reine” s'étonne l'écuyer imberbe et stupéfait “ce Charles qu'on nomme Grandes esgourdes!”
“Je ne connais que ma marâtre... et c'est bien assez” répond Blanche.
A ces mots la rose se transforme en vulgaire caillou et dans un grand plouf tombe dans le miroir improvisé et pollué.
“Quésaco encore?” insiste Blanche en provençal.
“On aurait dit une huître de ma Reine” suggère l'écuyer imberbe “une numéro deux, pour le moins!”
“Une huître de Marennes?” s'étonne Blanche “alors qu'attends-tu pour aller me la chercher?”
Ne faisant ni une ni deux ni trois, l'écuyer imberbe plonge à sa suite et disparait dans un monstrueux splash comme on n'en voit jamais dans les contes mais cette fois-ci, oui.
Restée seule, Blanche se met à danser :”Reine de coeur, Reine de coeur... après tout, pourquoi pas?”
“Et qu'est-ce qu'on fait pour le caillou?” l'interpelle le reflet du miroir improvisé, pollué et splashé.
“Est-ce ainsi qu'on s'adresse à la Reine de coeur?” s'écrie Blanche “pour le caillou... pas de quoi en faire toute une histoire mais j'en causerai à un Poucet, à l'occasion”
Vegas sur sarthe