12 juillet 2015
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“S'il te plaît... dessine-moi un mouton !”
“Laisse-moi petit, tu vois pas qu'je bosse?”
Je suis resté le pinceau en l'air. Ce gosse nu comme un ver devait avoir dix ans et l'air effronté des mômes polynésiens de son âge.
“Qu'est-ce que tu fais?” me demande t'il en tournoyant autour de mon chevalet comme un sioux qui aurait déterré sa hache de guerre.
Mes deux nymphes tahitiennes se marrent comme des baleines en s'ébrouant dans les vagues océanes.
Je leur avais pourtant ordonné de ne pas bouger avant que j'en aie fini avec le pataquès de couleurs de ces foutus paréos... des fleurs de tiaré d'un jaune pas vraiment jaune, le tissu d'un bleu pas tout à fait bleu!
Et les voila qui s'agitent, qui se déloquent sans pudeur et plongent dans la grande bleue.
Ce morveux fiche tout par terre et salope mon oeuvre!
“Tu verras” m'avait dit Cézanne “ici c'est le paradis”
Tu parles d'un paradis! Ici on m'accuse d'exploiter les gens à des fins commerciales, de faire de la traite de vahinés et que sais-je encore...
“Alors? Et mon mouton?” insiste le morveux.
“Dégage petit... je sais pas faire les moutons”
C'est sorti comme ça, sans réfléchir comme si je n'avais jamais rien appris de mes maîtres, Pissarro et les autres!
“Tu sais faire quoi à part peindre ma mère?” me répond-il effrontément.
“Ta mère? C'est laquelle ta mère?”
Il me désigne celle aux formes pleines qui s'ébroue nue dans les vagues.
Ca doit être une habitude chez eux de se trimballer à poil.
Il commence à m'agacer ce gamin.
“Et ton père, c'est celui qui pêche au harpon derrière elle?”
“Peut-être. Je sais pas qui c'est mon père” répond-il en levant les yeux au ciel.
C'est vrai qu'ici il y a plus de manu tipao (hommes volages) que de manu paari (hommes sages).
“Et puis ma mère elle est pas vraiment comme ça” ajoute t-il en touchant ma peinture d'un doigt crasseux.
Je sens que je vais péter un plomb: “Moi c'est comme ça que je la vois, petit. Maintenant va jouer ailleurs!”
“Avec mon mouton?”
Il s'est campé devant moi, prêt à en découdre:” Tu vas l'appeler comment ta peinture?”
Je n'avais pas réfléchi à ça, alors j'improvise: “Euh... près de la mer”
Il fait la grimace: “Alors appelle ça... Fatata te miti... c'est mieux pour toi”
Je ne vois pas en quoi c'est mieux pour moi mais je n'ai qu'une envie, qu'il aille au diable et me laisse finir les jaunes et les bleus des paréos.
“Va pour Fatata te miti”
Comme il s'éloigne je le rappelle malgré moi: “Tu le veux comment ton mouton?”
J'ai sorti mes fusains et une feuille blanche. Il a le sourire aux lèvres et je sens sa main sur mon bras...
Plus loin deux vahinés au rire clair s'ébattent nues dans l'écume des vagues.
Foutu paradis!
Vegas sur sarthe
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