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30 janvier 2016 6 30 /01 /janvier /2016 17:50
Germaine, y en a pas deux.   Vegas sur sarthe

Sujet semaine 05/2016 - clic

 

Chez nous le dernier week-end de janvier a toujours été un passage critique, comme une épreuve, un droit d'entrée accordé par le Dieu du printemps qui est aussi - on a tendance à l'oublier - le dieu de la guerre et celui des impôts!
 
Aussi lorsque le commun des mortels quitte son douillet cocon pour aller préparer ses plate-bandes ou tailler ses arbres... chez nous c'est l'épreuve, le branle-bas des travaux d'intérieur.
Cette année Germaine avait décrété que notre cuisine n'était plus fonctionnelle et qu'il fallait changer quelques meubles , du moins me l'avait-elle fait comprendre en étalant sournoisement sous mes yeux quelques catalogues ouverts à la rubrique Cuisines.
Le message était clair - le changement c'était maintenant - un message alourdi du choc des photos et plombé du poids des mots-qui-motivent tels que Les envies qui prennent vie, Le tout près de chez vous, Parce que je le visse bien, le Fastoche ou le Castoche!
Mais chez nous il y a un slogan plus fort que tous ceux-là: “Germaine, y en a pas deux!”
 
A mon premier coup de tournevis dans le bitoniau qui est censé verrouiller le machin j'ai senti que ça n'allait pas être du gâteau... mais dans un sens ça m'arrangeait vu l'indigestion qui m'avait barbouillé la veille.
Comme ce premier bitoniau engagé de biais ne ressortait pas, j'ai ressorti quelques mots crus.
Les novices ignorent l'importance des mots crus dans l'outillage indispensable à tout bricoleur du week-end, au même titre qu'un perforateur pneumatique, qu'un niveau laser ou qu'un couteau à démastiquer.
Les mots crus équipent aussi certains outils à double tranchant comme le fameux couteau à démastiquer qui - mal employé - génère automatiquement des mots crus.
 
Pourtant j'avais soigneusement préparé le terrain, établi mon plan de bataille, lu la notice en serbo-croate et en albanais avant de trouver la version française, compté les vis, les chevilles et les bitoniaux, coupé quelques compresses stériles et trois fois la parole à Germaine (ce qui est un exploit) mais ça ne ressortait toujours pas.
J'étais dans ce grand moment de solitude que connaissent les médecins-accoucheurs en manque de forceps...
Contre l'adversité il faut savoir rebondir en faisant preuve d'imagination: la césarienne s'imposait à moi comme une évidence. C'est ainsi que j'ai eu l'idée géniale de scier tout ce qui entourait le bitoniau pour être tranquille.
J'estimai avoir fait le plus dur quand j'eus évacué la première brouette de sciure sur le trottoir. Tout près de moi, les oiseaux bêchaient et les voisins chantaient ou le contraire mais au moins c'était rassurant.
 
Chez nous ça chantait différemment derrière l'ancien meuble démonté où Germaine retrouva - avec de charmants Hoo! et de délicieux Haa! - quelques objets perdus au milieu d'un troupeau de moutons: un couvert à salade de tante Marthe, la clef du portail, un ticket de Loto perdant et perdu ainsi que la dépouille d'un mulot que Minouchette avait dû pousser vers sa dernière demeure...
Il ne me restait plus qu'à reboucher le trou autour du bitoniau, compter les bitoniaux restant et attaquer la page suivante du manuel qui en comptait quinze... après quoi un bon coup de peinture signerait artistiquement la fin des travaux.
 
Page Quinze: Il était temps, j'avais épuisé mon stock de mots crus d'hiver et je ne voulais pas entamer mon capital de mots crus de printemps réservés à la mise en eau de la piscine!
 
Alors parlons peinture.
La peinture c'est comme qui dirait une forme d'art - initiée il y a environ trente deux mille ans - c'est dire si elle a eu le temps de sécher, c'est dire si l'homo-ça-peint est expérimenté et s'il possède le recul nécessaire moyennant un long manche pour exercer cet art les yeux fermés dans sa cuisine!
J'avais choisi un bleu 'Magret de canard' et Germaine un rose 'Cuisse de nymphe émue' et après une âpre négociation on se partagea équitablement les panneaux du placard y compris le cinquième panneau condamné à la bicolorité.
J'étais impressionné car Germaine est impressionnante, le smartphone dans une main avec l'application 'la peinture pour les Nuls' et le pinceau dans l'autre main!
J'ai toujours été subjugué par ces petites bombes sophistiquées - les smartphones, pas Germaine - et par leur robustesse en toute circonstance, même repêchés dans un pot de peinture couleur 'Cuisse de nymphe émue'.
Le résultat dépassa toutes nos espérances, il les distançait même comme avait dû le ressentir Salvador Dali dans sa période mystique.
On se regardait.
N'avions-nous pas placé la barre trop haut, un peu comme cette étagère posée de guingois?
Tenant l'escabeau, j'assistais Germaine dans l'ajustement de l'étagère - ému aux larmes par ses cuisses de nymphe - quand par la fenêtre ouverte je crus entendre l'exclamation enthousiaste d'un voisin, un de ces cris gratifiants qui viennent couronner un bel effort et mettre du baume au coeur: “C'est à vous tout ce merdier sur mon trottoir?”
 
Dehors les oiseaux bêchaient toujours mais les voisins chantaient moins ou le contraire mais on était heureux et sur nos visages comblés suintait ce délicat mouchetis bleu-garçon et rose-fille qui fait toute la différence entre les créateurs et les créatrices.
 
 
Vegas sur sarthe

commentaires

G
GE-NIAL !
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C
Un recit bien charpentė, vien ficelé, bien vissé. <br /> Dans les textes à Germaine, j'apprécie grandement tous les appartés qui se greffent à chaque étape! C'est toujours original comme angle d'd'attaque!
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J
Ah qui n'a pas en duo monter un p'tit meuble et fait de la peinture... selon ses choix, ;-)
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E
excellent ! ferait un super sketch filmé<br /> on pense au fameux "quand l'oncle Podger accrochait un tableau", de Jerome K Jerome, dont on peut trouver le texte sur internet (en pdf) et illustré ici, mais hélas en anglais <br /> https://www.youtube.com/watch?v=bQ1YbCAvQkQ -
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V
Merci Emma. Beau compliment !
V
Content de vous avoir amusé(e)s ! Mais je ferai pas ça tous les jours :)
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M
Hé, hé, tu t'y connais en bricolage maison :)
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A
Promis,rien que pour les mots crus, j'irai te chercher pour agencer ma cuisine ( morte de rire) Superbe texte qui m'a mise en joie :)
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J
très drôle et bien senti
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P
Excellent et écroulant... de rire.<br /> Je me revois tout à fait dans mes bricolages primesautiers avec mon smartphone en vadrouille de plomberie, moi c'était la salle de bain. Un miracle! <br /> Ton texte est un délire réaliste, j'adore.
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C
Que c'est drôle ! j'ai apprécié la préparation du champ opératoire d'une précision chirurgicale (et tellement vraie...) et la chute est excellente !!!<br /> Je te décerne le prix du bricoleur le plus drôle ! :-)
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A
Je suis écroulée de rire, j'en pleure! Si quelqu'un a une boîte de kleenex..Bravo Vegas, et merci pour ce moment hilarant.
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