Hachélèm. Vegas sur sarthe

sujet semaine 51/2017 - clic

Au 240bis comme au 242, derrière chaque fenêtre – hublot semblable à ses voisins de gauche, de droite, du dessus et du dessous – chaque occupant est unique dans l'océan du Hachélèm, et c'est tant mieux.

Du dernier pont surchauffé au rez-de-chaussée glacial, on vit, dort, mange, boit, rit, tangue, pleure parfois et meurt aussi et pourtant chacun est unique.

La cougar du dernier étage qui descend sa poubelle en faux Louboutin ignore tout des ch'tis tapant le tarot autour d'un fût de Mort Subite, sans souci du baryton du 15ième qui vocalise, couvrant le crincrin d'une violoneuse amateur qui assassine Camille Saint-Saëns sans vergogne tandis que le pétomane du 16ième tente d'établir un nouveau record.

Un François Pignon tenace tente de terminer son Arc Triomphe en allumettes tandis que son voisin bricoleur étrenne un nouveau perforateur-burineur dans un inquiétant tremblement de terre qui ne semble pourtant pas déranger le queutard du 14ième en plein coïtus ininterrompus.

Des étoiles plein les mirettes, deux tourtereaux nouvellement installés observent des piafs trop nourris qu'un gamin effronté canarde au lance-pierre sous le regard courroucé d'un adjudant-chef en retraite et enquiquineur à vie qui en abandonne son sudoku force 3.

Au rez-de-chaussée une bigotte sans âge arrose un pélargonium rabougri, survivant comme elle de la dernière canicule dans les relents opiacés et illicites qui montent de la fumante cage d'escalier abandonnée aux dealers.

Un veilleur de nuit cherche désespérément les bras de Morphée entre deux scènes de ménage que la mince cloison de papier voisine filtre à peine, laissant passer des "T'es bien comme ta mère" et autres "Va t'faire foutre".

Dans une semaine ces êtres uniques – forts de leur diversité – prononceront de concert et à l'heure dite la formule magique, celle qui fait retomber en enfance, ce Joyeux Noël porteur d'espoir et évocateur d'excès en tous genres.

La grande crèche Hachélèm brillant de mille étoiles dans une grande respiration soufflera l'amitié et les bons sentiments; des dizaines de bûches glacées titilleront les papilles, tacheront les nappes ou finiront dans les poubelles encombrées de papier cadeau, de bolduc et de coquilles d'huîtres que le tri sélectif n'aura encore pas réussi à séparer.

De la cougar au pétomane, des tourtereaux au veilleur de nuit, le tri sélectif des hachélémeux est inutile... ils sont uniques

Le blog de Vegas sur sarthe - clic

Comments

[Mony]

Que de vie dans ce rucher, j'aime beaucoup t'entendre l'observer !

[vegas sur sarthe]

Merci Mony

[Josette]

j'ai aussi pensé à Pérec...
encore une brillantissime page

[vegas sur sarthe]

Merci Josette! C'est trop d'honneur

[La Vieille Marmotte]

toujours avec brion. Même sur un sujet aussi grave !

[vegas sur sarthe]

Merci

[emma]

"Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l'immeuble se répercute, lointaine et régulière. De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes, ces débris, ces esquisses, ces amorces, ces incidents ou accidents qui se déroulent dans ce que l'on appelle les « parties communes », ces petits bruits feutrés que le tapis de laine rouge passé étouffe, ces embryons de vie communautaire qui s'arrêtent toujours aux paliers. Les habitants d'un même immeuble vivent à quelques centimètres les uns des autres, une simple cloison les sépare, ils se partagent les mêmes espaces répétés le long des étages, ils font les mêmes gestes en même temps, ouvrir le robinet, tirer la chasse d'eau, allumer la lumière, mettre la table, quelques dizaines d'existences simultanées qui se répètent d'étage en étage, et d'immeuble en immeuble, et de rue en rue". .. Pérec,la vie mode d'emploi.

[vegas sur sarthe]

J'aime la référence... et j'adore Pérec