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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 15:15

sujet 25/2018, 1er jeu de l'été, incipit - clic

- Ils étaient une vingtaine.

Combien exactement, Jeanne ne le sait pas. Une vingtaine, répète-t-elle en haussant les épaules puis après un silence elle précise : c’est beaucoup ! Ça a débuté comme ça, je cueillais des mûres au pied d’un talus et j’ai entendu des voix au bout du chemin et puis des aboiements. Forts, méchants, les aboiements.

Nouveau silence troublé par les toussotements de l’inspecteur Harry agacé par ce refroidissement qui l’enfièvre en pleine canicule.

 

- Les chiens couraient dans ma direction, j’étais tétanisée. Ils sont arrivés comme fous à mes côtés, ils me reniflaient, prêts à me mordre.

- Précisez, demande l’inspecteur.

- Préciser ! Préciser ! C’est clair, non ?

- Hum !

- Quand j’ai enfin ressenti la présence d’un homme j’ai dit sans me retourner : feriez bien de tenir vos chiens en laisse.

- Et qu’a répondu l’homme ?

- Pff ! Ce qu’ils disent tous : mon chien est gentil et une voix de femme a cru bon d’ajouter : il ne ferait pas de mal à une mouche. Moi, j’ai dit : la loi est la même pour tous, les chiens doivent être tenus en laisse.

Nouveaux toussotements suivis d’une longue inspiration sifflante.

- Feriez bien de vous soigner, monsieur le Commissaire !

- Inspecteur ! Je suis inspecteur ! Mais dites-moi ces chiens ils étaient une vingtaine ou n’y en avait-il qu’un seul ?

Jeanne se trémousse sur sa chaise, le regard trouble.

- L’homme a dit à la femme : si je la rencontre à nouveau je lui ordonne d’attaquer.

- Donc, il n’y avait qu’un chien !

- Commissaire, le rêve est une seconde vie… les cauchemars aussi.

La tête de l’inspecteur Harry, soutenue par ses deux mains, est cramoisie. Si en plus les témoins me sortent des énigmes, je vais m’écrouler, pense-t-il découragé.

- De la tisane de thym, inspecteur, il n’y a rien de tel !

- Commi… hum, vous m'embrouillez ! Thym, rêve, cauchemar, c’est bien beau tout cela mais j’ai deux morts sur les bras, moi !

- Trois morts, c’est exact !

- Trois ? L’homme et la femme, le crâne défoncé et retrouvés noyés dans le ruisseau, si, malgré la fièvre, je compte bien, cela fait exactement deux morts... Mais le chien, qu’est-il devenu ?

Longs toussotements.

Silence.

Jeanne, toujours assise sur la chaise, semble transformée en statue. Elle poursuit pourtant un monologue intérieur.

« Le rêve est une seconde vie. Comment me serais-je dépêtrée de mes cauchemars sans lui ? Ils n’avaient qu’à maîtriser leur cabot. Les laisses c’est fait pour les chiens. Mordue, je l’ai été plus qu’un être humain ne peut le supporter… le camp, la faim, les ordres… les ordres à la vingtaine de chiens…attaque… m’attaquer, moi ? N’avait pas à se risquer à dire ces mots… plus jamais, je ne me laisserai attaquer… l’ont cherché ces gens et ce sale clebs aussi… la colère ça décuple la force, je le sais, elle m’a souvent sauvée… le chien je l’ai assommé alors qu’il s’apprêtait à rejoindre ses maîtres, ma canne au bout ferré n’a pas plus que moi pardonné. Lui, de rage, il a trébuché et sa tête a heurté une grosse pierre, elle penchée sur lui a été une proie facile... comment s’étaient-ils trouvés un jour sur mon chemin ? Je ne me suis pas posé la question, quelle importance… Le chien, je l’ai enterré dans le sous-bois, le couple traîné jusqu’au ruisseau pour qu’ils se purifient la bouche de leurs paroles... On ne sait rien de soi. On croit s’habituer à soi, c’est le contraire. A présent, je suis à égalité avec mes tortionnaires, jamais je n’aurais cru y parvenir un jour… »

L’inspecteur Harry contemple cette femme étrange. Son flair lui dit qu’il est vain de l’interroger plus longuement. Que pourrait-elle encore lui dire mis à part sa peur viscérale des chiens. Bah, comme tant d’autres…

- Je suivrai vos conseils, je prendrai une tisane de thym, promis, dit-il en serrant la main de Jeanne.

C’était oublier le rhume à présent bien installé et faussant tous ses repaires de fin limier.

 

 

Le blog de Mony

commentaires

A
Superbe texte :)
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D
Une histoire bien menée, bravo Mony !
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E
bravo, la totale, sacré personnage ta Jeanne, et redoutable, la" canne de Jeanne" ; Harry et son rhume des foins est formidablement campé !
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L
Texte qui fait écho pour moi ( un peu dans la veine de "L'étranger" d'Albert Camus) , as-tu lu, de Tanguy Viel : https://www.telerama.fr/livre/article-353-du-code-penal,152138.php<br /> Si non, je te le recommande vivement ! Il devrait te plaire ... Bonne lecture (et écriture !!) Mony
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A
Tu nous as fait un tout en un Mony, bravo! Cette histoire est belle, on croit un peu à une plaisanterie et soudain on change de registre à l'évocation des camps...
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