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17 juin 2011 5 17 /06 /juin /2011 12:44

 

 Elle les regarde depuis l'œil de bœuf du grenier.

Les autres fenêtres côté rue sont toutes condamnées, les volets renforcés avec des barres de fer. De même que la porte d'entrée.

 

Au début, elle ne s'était pas méfiée.

Elle n'avait même pas su que c'était le début.

Au milieu de l'été il y avait eu ces groupes de jeunes qui stagnaient dans la rue, et avaient disparu au matin. Des jeunes normaux, tous pareils, en uniforme de jeune,  jean et ti shirt.

Elle n'y avait pas porté grande attention, elle avait pensé qu'il devait y avoir pas loin un rassemblement, une de ces drogues parties en plein air, comme on en voyait à la télé.

Du temps de la télé.

Par précaution elle avait  bien fermé la maison pour aller au magasin central.

Mais au retour elle s'était trouvée tout à coup cernée par une bande silencieuse, et en quelques secondes dépouillée des provisions qu'elle venait d'acheter. Ils ne l'avaient pas molestée, mais elle était restée un  moment assise sur le trottoir,  à essayer de retrouver sa respiration.

C'est ce jour-là qu'elle avait mis les barres aux volets et à la porte d'entrée.

Joseph avait prévu ces dispositifs, après les évènements, il y a bien longtemps.

Avec le comité de quartier, il avait aussi monté les hauts murs autour des jardins, et aujourd'hui, elle s'en félicite. Cela permet d'avoir de la lumière par les fenêtres de derrière, ce qui est appréciable puisque les panneaux solaires sont tombés en panne l'un après l'autre, et qu'elle doit économiser le peu de courant qu'ils délivrent encore pour manger chaud, de temps en temps. 

Elle ne se fait pas trop de souci de ne plus pouvoir sortir. Dans le bunker du jardin, à côté du puits, Joseph a entreposé assez de nourriture pour des années, et il y en a deux fois plus que prévu, vu qu'il n'est plus là. Et des semences aussi.

Sa vie est finalement agréable, entre le jardinage et les livres dans le grenier.

Certes, parler lui manque, mais le soir elle papote un peu avec Madame Austen, la voisine, en tapant le mur avec le balai.

Formidable idée qu'avaient eue les comités de quartier de donner des cours de morse, après les évènements, quand tous les medias s'étaient tus.

Et puis il y a le vieux phono à pavillon, et les deux disques qu'elle connait par cœur : Lucienne Delyle, et Maurice Chevalier.

Souvent, elle remonte la manivelle et elle  chante pour accompagner leur voix crachotante:

Moi qui l'aimais tant
Je le trouvais le plus beau de Saint-Jean,
Je restais grisée
Sans volonté
Sous ses baisers

Et elle porte un toast à la photo de Joseph à côté du phono, en regrettant qu'il n'ait pas pensé à stocker plus de muscat, parce que la vodka à l'eau lui donne la migraine.

Oui, finalement, la vie est assez agréable.

 

S'il n'y avait pas CEUX-LA.

Ils défilent maintenant jour et nuit. Des familles. Plutôt des tribus. Elle se demande d'où ils viennent. Impossible de le savoir parce qu'ils ne parlent pas. Vêtus d'oripeaux inidentifiables. Encore humains pourtant, puisqu'elle voit des bébés accrochés à des femmes.

 

Elle se détourne de l'œil de bœuf en soupirant, rassurée de se sentir  en sécurité dans sa forteresse.

C'est alors qu'elle la voit.

Dans l'encadrement de la porte de l'escalier, se tient une fille au regard aigu, en loques, grisâtre depuis ses pieds sales jusqu'à  sa chevelure emmêlée. Dans les quatorze ans peut être, accompagnée d'un chien jaune efflanqué.

 

Emma

 

en hommage à Doris Lessing , dont les "mémoires d'une survivante" auraient pu avoir inspiré madame Ferré

 

 

commentaires

C
<br /> <br /> Oui, ça fout la trouille, cette ambiance d'apocalyse, mais ce qui rassure c'est le phono et la voix de Lucienne Delyle, un petit retour dans le passé d'avant la télé, un petit coup de Chevalier<br /> et ça repart, s'il reste une bonne bouteille dans la cave, on va pouvoir tenir encore un peu. Bravo pour ce texte qui vous tient en haleine jusqu'à la fin. cloclo<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> D'accord, avec tous les commentaires qui précèdent, ton écriture déroule un fil d'images... et la dernière, laisse le suspens entier !<br /> <br /> <br /> Belle rencontre entre un "oeil de boeuf " et un "regard aigu"... <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Quelle ambiance sombre , terrible ...<br /> <br /> <br /> Mais qui décrit si bien la trouille, l'incomréhension qui nous entoure socialement.<br /> <br /> <br /> C'est vraiment oppréssant et très réussi !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Un texte très prenant, laissant pendant quelques minutes un sentiment d'angoisse. Moi aussi j'aimerais savoir qui est la jeune fille ???<br /> <br /> <br /> Bonne soirée<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> J'aimerais moi aussi connaître la suite, comprendre comment elle est arrivée, là, celle qui... Dire que ce qui est décrit là attend peut-être déjà, dans un<br /> repli du temps, les générations futures, cela fait froid dans le dos et tu as su nous faire peur... Nous émouvoir aussi. Merci Emma. Je reviens demain pour la suite des écrits et m'attelle de mon<br /> côté à cette consigne!<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Il y a bien longtemps que j'ai lu  Doris Lessing, il faudra que je m'y replonge. En attendant ton texte est fort, comme ces sculptures.<br /> <br /> <br /> Cette image me parle, je vais tenter de trouver le temps de m'y pencher pour écrire, ensuite je reviendrai te lire, comme j'aime lire ce qui me touche, en savourant chaque image tissée par les<br /> mots. Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> du Orwell, du Pelot des débuts, du Ballard, non j'ai pas lu...<br /> merci pour le rappel<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Si c'est l'avenir déshumanisé qui nous atttend, il donne froid dans le dos. J'aimerais connaitre la suite et savoir si un contact va être possible entre ces personnages étranges et madame Ferré.<br /> Oui, il est probable que la vie reprenne doucement un aspect plus humain. Bel imaginaire, Emma. Mony<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Y a t-il une suite à ton histoire ?  Qui est cette fille et que veut-elle, j'ai hâte d'en savoir plus  Emma<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Vision terrifiante d'un âge post-apocalypse, et très, très bien rendu. Bravo emma !<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Brrr... Vision d'apocalypse. Finalement les vrais vivants sont encore ceux qui marchent.<br /> <br /> <br /> Bon, je reprendrais bien un peu de Maurice Chevalier plutôt qu'une vodka<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Bonjour Emma... Emmurée vivante et pour cause ! La peur... Ton histoire m'a tenue en haleine, je reste sur ma fin...  <br /> <br /> <br /> <br />
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