Il existe une maison tapie au fonds de ma mémoire, il existe une chambre cachée dans les replis de mon âme.
Il y avait une enfant qui vivait en moi et ne voulait pas mourir sans avoir été vengée, sans s'être vengée.
C'est chose faite.
Celle qui me regarde dans le miroir et me sourit est neuve, rendue à elle-même, purifiée.
Quoique !
C'est une belle région que celle où je suis née, toute en vallons, toute en verdure, une région faite pour qu'un enfant y court et
s'y amuse en toute innocence.
La maison de mon enfance est une gtande bâtisse cossue, sur laquelle les éléments n'ont pas de prise.
Elle est faite pour protéger ses habitants..seulement, elle ne l'a pas fait. La maison toute entière a fermé les yeux.
Quand j'y reviens en cette douce journée de septembre, après l'avoir quittée depuis plus de 30 ans, c'est simplement parce que depuis
peu, elle m'appartient !
Elle est donc à moi à présent, les derniers papiers que j'ai signés chez le notaire le prouvent.
Elle est à moi et je jubile ; elle est à moi et je la hais..
Et ce que je hais plus encore c'est la chambre, celle dans laquelle j'ai dormi toutes les nuits de mon d'enfance et dans laquelle j'y
ai rêvé d'évasion, dans laquelle j'y ai imaginé ce que serait la vie avec une famille qui m'aurait aimée ; tout simplement.
Curieusement cette chambre se trouve au dernier étage, sous les combles, elle est étouffante en été, glaciale en hiver.
Ma mère m'a toujours dit « toi, de toute façon tu es une enfant Ogino et dans mon esprit d'enfant, je pensais avoir été adoptée
et être originaire d'une île lointaine du Pacifique...C'est drôle vous ne trouvez pas ?
Elle me disait cela d'une telle façon que je comprenais que cette remarque était faite pour que je comprenne que mon exil dans cette
chambre était totalement justifié et que j'étais entièrement responsable de ce qui s'y passait, car elle savait, ne nous y trompons pas.
8 Mai 1970
J'étais dans la chambre bien évidemment quand il y est rentré ce soir-là, j'avais reconnu son pas lourd dans le couloir et cette
espèce de raclement de gorge que je trouvais si répugnant.
Depuis quelque temps il venait un peu moins souvent, mais au cours du repas ce soir-là, son regard avait glissé sur moi à plusieurs
reprises et je savais qu'il viendrait car il avait beaucoup bu.
Et dans cette chambre proprette, bien rangée, dans laquelle on m'avait autorisée à mettre quelques aquarelles au mur pour l'égayer,
dans cette chambre le monstre allait rentrer une fois de plus et commettre l’innommable.
Mais ce jour-là, dans l'attente d'une nouveau soir j'avais décidé qu'il n'y aurait plus de soir comme ça.
Il est entré dans la chambre en grognant comme le porc qu'il était, s'est approché de moi, a avancé la main vers moi et j'ai, de sous
les draps bien tirés sur moi, sorti le tisonnier dont personne n'avait remarqué l'absence et j'ai frappé, frappé, frappé...
Septembre 2000
Je mets la clé dans la serrure de la lourde porte d'entrée qui à mon grand étonnement s'ouvre sans difficultés.
Je monte rapidement les marches qui mènent à la chambre, j'ouvre la porte, tout est pareil...Tout est différent.
Je regarde une dernière fois cette chambre, je suis calme mais déterminée.
Je referme la porte, je redescends les escaliers, sort, referme soigneusement la porte d'entrée.
Quelques minutes plus tard, les premières flammes apparaissent.
Je monte dans ma voiture, enclenche une vitesse ; dans le rétroviseur je vois la maison, elle doit hurler sa douleur, la chambre
quant à elle subit son châtiment.
Je roule de plus en plus vite, reprend la grand-route, je rentre chez moi.
Eva