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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 20:00

 

Il existe une maison tapie au fonds de ma mémoire, il existe une chambre cachée dans les replis de mon âme.
Il y avait une enfant qui vivait en moi et ne voulait pas mourir sans avoir été vengée, sans s'être vengée.
C'est chose faite.
Celle qui me regarde dans le miroir et me sourit est neuve, rendue à elle-même, purifiée.
Quoique !

C'est une belle région que celle où je suis née, toute en vallons, toute en verdure, une région faite pour qu'un enfant y court et s'y amuse en toute innocence.
La maison de mon enfance est une gtande bâtisse cossue, sur laquelle les éléments n'ont pas de prise.
Elle est faite pour protéger ses habitants..seulement, elle ne l'a pas fait. La maison toute entière a fermé les yeux.

Quand j'y reviens en cette douce journée de septembre, après l'avoir quittée depuis plus de 30 ans, c'est simplement parce que depuis peu, elle m'appartient !
Elle est donc à moi à présent, les derniers papiers que j'ai signés chez le notaire le prouvent.
Elle est à moi et je jubile ; elle est à moi et je la hais..
Et ce que je hais plus encore c'est la chambre, celle dans laquelle j'ai dormi toutes les nuits de mon d'enfance et dans laquelle j'y ai rêvé d'évasion, dans laquelle j'y ai imaginé ce que serait la vie avec une famille qui m'aurait aimée ; tout simplement.
Curieusement cette chambre se trouve au dernier étage, sous les combles, elle est étouffante en été, glaciale en hiver.
Ma mère m'a toujours dit « toi, de toute façon tu es une enfant Ogino et dans mon esprit d'enfant, je pensais avoir été adoptée et être originaire d'une île lointaine du Pacifique...C'est drôle vous ne trouvez pas ?
Elle me disait cela d'une telle façon que je comprenais que cette remarque était faite pour que je comprenne que mon exil dans cette chambre était totalement justifié et que j'étais entièrement responsable de ce qui s'y passait, car elle savait, ne nous y trompons pas.

8 Mai 1970
J'étais dans la chambre bien évidemment quand il y est rentré ce soir-là, j'avais reconnu son pas lourd dans le couloir et cette espèce de raclement de gorge que je trouvais si répugnant.
Depuis quelque temps il venait un peu moins souvent, mais au cours du repas ce soir-là, son regard avait glissé sur moi à plusieurs reprises et je savais qu'il viendrait car il avait beaucoup bu.
Et dans cette chambre proprette, bien rangée, dans laquelle on m'avait autorisée à mettre quelques aquarelles au mur pour l'égayer, dans cette chambre le monstre allait rentrer une fois de plus et commettre l’innommable.
Mais ce jour-là, dans l'attente d'une nouveau soir j'avais décidé qu'il n'y aurait plus de soir comme ça.
Il est entré dans la chambre en grognant comme le porc qu'il était, s'est approché de moi, a avancé la main vers moi et j'ai, de sous les draps bien tirés sur moi, sorti le tisonnier dont personne n'avait remarqué l'absence et j'ai frappé, frappé, frappé...

Septembre 2000
Je mets la clé dans la serrure de la lourde porte d'entrée qui à mon grand étonnement s'ouvre sans difficultés.
Je monte rapidement les marches qui mènent à la chambre, j'ouvre la porte, tout est pareil...Tout est différent.
Je regarde une dernière fois cette chambre, je suis calme mais déterminée.
Je referme la porte, je redescends les escaliers, sort, referme soigneusement la porte d'entrée.
Quelques minutes plus tard, les premières flammes apparaissent.
Je monte dans ma voiture, enclenche une vitesse ; dans le rétroviseur je vois la maison, elle doit hurler sa douleur, la chambre quant à elle subit son châtiment.
Je roule de plus en plus vite, reprend la grand-route, je rentre chez moi.

 

Eva

commentaires

I
<br /> <br /> il y a quelque chose de calme et de posé dans le texte qui glace par sa détermination. Et cette colère froide, implacable, pour cette insulte faite à l'enfance trouve sa suite logique dans<br /> l'incendie. C'est très réussi.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Quand un incendie nous ravage..parfois les objets brûlent.. la douleur est si présente derrière chaque mot qu'on ne sort pas indemme de cette lecture. Merci<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Un très beau texte, pour une grande douleur.<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> waouh ! un texte qui cogne, merci, Eva<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> J'espére pouvoir moi aussi mettre un jour le feu à cette maison... Votre texte m'émmeut fortement, profondément, intensément, j'aurai bien voulu moi aussi sortir le tisonnier, où autre arme, mon<br /> destin à moi en a voulu autrement... Je vous en veux de m'obliger à devoir encore affronter ces douloureux souvenirs mais vous respect pour la beauté de votre texte.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Une vengeance salutaire. Quoique, comme le dit la narratrice... Mony<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> hélas les flammes ne pourront tout enlever, texte fort<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> La vengeance par le feu, d'une ex-petite fille qui n'a que cette seule possibilité pour se purifier de l'innommable outrage. Un très beau texte.<br /> <br /> <br /> Danielle<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Une chambre aux heures infernales.... et puis un jour les flammes !  Un récit en dehors de l'ordinaire.... excellent !  <br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Quand la fiction imite la vie ! Cela me rappelle cette fille en Allemagne emprisonnée par le voisin et qui possède maintenant la maison où elle a été enfermée.<br /> <br /> <br /> C'est un sujet difficile à traiter, il me semble que tu le réussis fort bien.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Epoustouflant ! Je crois sincèrement qu'après ce récit, il faut vraiment brûler le sujet et passer à autre chose. Bravo pour cet accent de vérité joliment écrit.<br /> <br /> <br /> <br />
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