Assis à califourchon sur la chaise du café, Mathieu prend ses aises tout en soulageant son dos mis à rude épreuve par le travail de la semaine puis il sort de sa poche sa tabatière et entreprend de rouler minutieusement une cigarette avec l’odorant tabac de la Semois.
Un coup de langue humide sur le fin papier, un ajustement précis des moindres brins, un petit tapotement contre la table et la cibiche est allumée avec délectation.
Longue inspiration, les yeux mi-clos.
Lente expiration de satisfaction.
- Que bois-tu Mathieu ? demande Boniface.
- Comme d’hab !
Le verre de vin frais entre les doigts Mathieu est tout à son contentement.
Dans la salle, à l’étage du café, la fête de gymnastique bat son plein et les jeunes en tutus, collants ou tenues folkloriques viennent tour à tour se désaltérer au comptoir.
- C'est beau la jeunesse ! s’exclame Mathieu, le regard attendri.
Quelques rires étouffés, quelques oeillades à la dérobée vers les tables ; la jeunesse se moque bien des vieux voyeurs.
Les verres succèdent aux verres. Les tournées générales s’entrecroisent. Mathieu ne sait plus à la santé de qui il boit.
La sienne ? Bah ! Il y a si longtemps qu’il ne s’en soucie plus et ses yeux injectés de sang en témoignent.
- Allons, Mathieu, réveille-toi, la fête est finie, on ferme !
- Boni…Boniface… on est mieux chez toi...qu’en…qu’en face !
En titubant légèrement, Mathieu traverse la route, longe le mur du cimetière et s’en retourne vers sa ferme pour une semaine de labeur et de solitude.
En passant devant la grille entrouverte, il s’arrête le regard tétanisé par une lueur sur une pierre blanche, celle de la tombe de sa Jeanne. Alors, le poing levé vers le ciel, il pousse un cri rauque et rageur " putain de camion ! "
Vite, l’autre main fouille la poche de la veste à la recherche de la tabatière.
Mony