J'ai entendu grincer la grille du jardin et le facteur s'est avancé dans l'allée. C'est une factrice. Elle me dit : "Mademoiselle
Bertrand, un colis pour vous !" et déjà la voiture jaune tourne au bout du chemin.
Ça fait quatre ans que j'habite ici. Quatre ans que je suis en retraite. J'aime cet endroit pas très loin de la mer qui s'accorde
avec la couleur de mes yeux. Il fait doux. Ça sent le mimosa.
Je reste un peu dans l'allée du jardin avec ce colis dans les mains.
Il y a mon nom écrit dessus : Thérèse Bertrand et mon adresse.
C'est bien pour moi.
Ca vient de Nevers.
Je ne connais personne à Nevers.
Et je n'ai rien commandé. Je n'attends aucune livraison.
Je rentre et je pose la boîte sur la table de la cuisine. Il reste un peu de miettes sur la table ; je les donnerai aux oiseaux, tout
à l'heure. Ils viendront pépier sur le bord de la rambarde en se disputant le festin.
Je ferme les yeux et je presse les mains très fort de chaque côté de la boîte. Comme si je voulais sonder le contenu. Comme si je
voulais ausculter le colis, en capter le souffle secret.
Ce n'est pas lourd, ce qu'il y a dedans. Et ça remue un peu ; des choses s'entrechoquent ou se bousculent.
Il y a une enveloppe et à l'intérieur, une lettre manuscrite.
Madame,
Sans doute cet envoi vous surprendra, car nous ne nous connaissons pas. Je vous écris et vous fais parvenir ce colis à la demande
expresse d'une de nos résidentes, Geneviève Desprez. Elle est arrivée chez nous en juin 2006 déjà très âgée, ne pouvant plus rester seule chez elle.
Je ne sais pas grand chose d'elle si ce n'est qu'elle m'a dit avoir travaillé en ferme dans sa jeunesse et, après la guerre,
avoir trouvé un travail d'agent d'entretien à la SNCF. "Je montais dans les wagons pour nettoyer, mais le train restait toujours à quai", m'a t elle dit un jour. Elle avait beaucoup
d'humour.
A la fin de sa vie, c'est moi qui m'occupais d'elle presque chaque jour. Elle perdait la raison. Elle m'appelait "Thérèse" et me
prenait pour sa fille. Dans un de ses derniers moments de lucidité, elle m'a demandé de rassembler quelques unes de ses affaires et de vous les envoyer une fois qu'elle serait partie. Elle ne
m'avait jamais parlé de vous et j'ignore comment elle avait votre adresse. Mais j'obéis à sa demande aujourd'hui car son état de santé s'est brusquement aggravé et elle est décédée voici une
quinzaine de jours. Nous n'étions pas nombreux à son enterrement, vu qu'on ne lui connaissait pas de famille. Elle est enterrée dans le cimetière du village, pas très loin de la petite maison où
elle habitait.
Je vous prie d'agréer, Madame, mes sincères salutations.
Marie-Agnès Bellard
Aide-soignante
Dans la boîte, je trouve aussi un châle au crochet, fait main. La laine a durci, elle est un peu rêche, la couleur blanche a passé et
le tout sent un peu le renfermé. Une boîte de cigarillos en métal couleur crème bordé de marron avec l'inscription "agio wilde havanas". Dedans, un compas cassé, des timbres, un ticket de cinéma
et deux photos 6 x 6 avec le bord dentellé. Une date est inscrite au dos : mai 1942. Je ne connais pas les gens que je vois, un couple au bord d'un champ, ils sourient ; elle a l'air heureuse,
lui, cheveux courts, grand et mince, son regard clair semble regarder au-delà de l'objectif. Et les mêmes sur l'esplanade du Trocadéro.
Il y a aussi un cahier d'écolier avec dans le petit carré dessiné sur la couverture bleue, le tracé des lignes.
Ça me rappelle l'école et les leçons d'écriture: il ne fallait surtout pas déborder, mais rester dans l'espace prévu, sans déroger à
la règle.
J'avais toujours une mauvaise note en écriture.
J'ai toujours préféré écrire entre les lignes.
Le cahier est plein d'une petite écriture serrée, à l'encre bleue. Je vais prendre le temps de le lire.
Imago