En galère le 26 février 1997
Salut la folle furieuse
En QL pour la journée, quartier libre pour les non initiés, trop juste pour venir te retrouver, alors je suis allé voir ma mère. J'ai pensé que la surprise lui ferait plaisir, elle n'a pas le moral en ce moment...à vrai dire, elle n'a jamais le moral. Je ne me souviens même pas l'avoir vue ou entendue un jour éclater de rire !
Bref, tout ça pour te dire que ça devait être une journée tranquille, paisible, du repos, avec peut-être aussi un léger espoir de ressourcement familial...et bien je te le donne en mille ! J'ai à peine eu le temps de retirer et jeter sur mon lit ma veste de treillis pour aller vidanger aux chiottes, qu'est ce que je retrouve en arrivant ?! Mon uniforme tout imbibé de cette odeur ignoble, cet abruti de chat avait pissé dessus ! Si je pouvais, je lui apprendrais bien à voler du troisième étage à cette erreur de la nature. Il est tellement gras qu'il rebondirait probablement, grotesquement...ou il se transformerait en végétaline restée trop longtemps au soleil sur le bitume.
Et ne me dis pas que je suis méchant avec ce gros corniaud qui me pourrit mon atmosphère depuis presque deux décennies !
Le pire c'est qu'elle le prend pour son gosse, son excuse c'est que je ne suis jamais là, pff, il fait pas bon vieillir.
Je crois que j'ai hâte de retrouver la caserne, les potes, et même cet enfoiré de chef à la semaine qui nous fait claironner son réveil compagnie seulement cinq minutes avant l'heure d'être en place aux couleurs.
Même la bouffe dégueulassement grasse de l'ordinaire vaut mieux que de rester ici à la voir bécoter ce gros tas de treize kilos de bouse tout juste bon à pisser partout dans la baraque, elle y est tellement habituée qu'elle ne sent même plus l'odeur pestilentielle omniprésente en tout temps.
Stérilisez-le qu'il disait cet escroc de véto !!!
Et rigole pas, ma mère s'est tellement dépêchée de mettre mon treillis au lavage, qu'elle n'a pas fait gaffe aux fermetures éclaires planquées à la verticale sur la poitrine...et à la flotte, lessivée ma carte SMA, mon trajet mensuel gratuit, mes réduc à 75% spécial p'tit bidasse dans le ''fufu lulu''...
Un jour c'est ce sale crevard que je vais lessiver à 90°
Que j'avais hâte de retrouver mes frères d'arme. Mes frères d'arme ! On croirait que j'ai fait la guerre ! Deux nuits à bivouaquer en montagne en plein février glaciaire aux portes du midi, à ''dormir'' comme des lombrics dans leur tranchée creusée par nos soins au piolet, attaqué toute la sainte nuit, par nos fêlés de gradés, à la grenade à plâtre et ça y est...je m'y crois !
Et commence pas à te moquer, je vois ton sourire sarcastique d'ici.
J'étais content de faire plaisir à ma mère, mais j'étais encore plus content de me barrer en courant avec mon sac musette sur le dos, chemise F1 visible car veste de treillis ouverte encore à moitié trempée à finir de sécher.
Mais j'ignorais qu'à mon retour, ce trou de fesses de caporal allait m'les briser menu à mon arrivée...il a été coulé du contingent juste avant le mien le sale bonze, et il se prend pour je ne sais qui, à me reprocher ma tenue mais refusant de me laisser aller à la foure en récupérer une autre. Et allez, TIG supplémentaires pour bibiche, et oui carte SMA HS, tenue non réglementaire, manquerait plus que je me torche avec mon béret ou que je paume mon Famas dans un fourré...
Quartier libre qu'ils disaient...tu parles...QL de M...
Et un p'tit tour d'OS pour faire marcher au pas les p'tits biffins que nous sommes...avec les deux VMF toujours à la traîne, la chaudasse et la transparente, on a tiré le gros lot quand ils ont décidé de mettre deux Volontaires Militaires Féminins par section…
Et arrête de dire que je râle tout le temps, ça vraiment été une journée merdique. QL plus fatigant que les manœuvres à se peler sous les étoiles du mois maudit.
Finalement, c'est pas plus mal que les filles soient là, l'aspirant calme ses ardeurs guerrières, et quand on en peut plus, elles sont la super excuse ! Surtout qu'à l'ordre serré c'est les plus grands devant et les plus petits à l'arrière...alors les pauvres, je peux te dire que lorsque ça marche devant, derrière ça court pour rattraper les grands pas de géants.
Juste avant de t'écrire cette lettre, je retournais en chambre avec le petit chant section dans la tête et au bout des lèvres ''Combien d'fois l'a-t-on parcouru cette petite piste, en traversant la lande herbue lorsque le jour se lève...'' j'étais crevée, et voilà que les cinq loustics de la chambrée ont trouvé ''drôlissime'' de chambouler mon pieu en portefeuille...et c'est moi le chef de chambre ! On n'est pas aidé j'te dis.
Et toi ma furie, comment tu vas dans tout ça ?
Tu me manques bébé, attends-moi je reviens bientôt, dans un mois c'est notre anniversaire, et nos fiançailles aussi...
J't'aime très fort.
Lucas.
Katrina Franklyn
Quartier libre de J. Prévert - clic