Si tu savais comme je suis heureuse de t’emporter avec moi. Chaque seconde, tu es mon hôte le plus prestigieux ; tu es à moi, toute seule. Le sourire plein phare, le ventre en avant, j’avance dans ce monde et, dorénavant, je sais pourquoi j’existe. C’est ma mission terrestre de perpétuer la Vie. Quand je respire, j’ai l’impression de t’apporter tout mon air ; quand je suis triste, je pleure doucement pour ne pas que tu m’entendes ; quand je ris, il me semble que tu partages ma joie. Maille à l’endroit…
Tu sens les trépidations de la rame ?... Oui bien sûr ; j’ai reçu le message de ton petit coup de pied. Tu m’as fait perdre le compte de mes mailles, coquin.
Si tu savais comme j’ai hâte de te rencontrer. J’ai tellement de choses à te raconter. A l’échographie, ils ont dit que tu étais un petit garçon. Depuis, je pense ballon, je pense train électrique, je pense petits soldats de plomb ; le cinéma de ma vie se joue tout en bleu, mes pieds ne touchent plus terre. Maille à l’envers …
Bientôt, ils vont te poser sur la plage de mon ventre et je te caresserai avec les vagues de mon Bonheur. Quand je regarde par la vitre, je te vois partout dans les paysages. Tu seras grand, tu seras beau, tu seras fort, tu seras courageux, tu seras roi. Maille à l’endroit…
Tu feras ta place sur cette banquette ou ailleurs, transport en commun ou transport pour chacun, surpeuplée navette ou fusée interplanétaire. Maille à l’envers…
Un instant, tu cours sur le quai, tu attends patiemment, tu lis un hebdo, tu découvres les décors du métro ; un autre, tu pleures dans un landau, tu fais la manche, tu es recroquevillé sur une canne, tu ris, entouré de quelques femmes, tu cours d’exploits en exploits. Maille à l’endroit…
Vite, je chasse ces vilaines visions fugaces ; sans cesse, je repeins l’ambiance avec d’autres truculences plus merveilleuses et je t’entends babiller des « maman, maman », tu souffles la bougie de ton premier anniversaire. Maille à l’envers…
Un jour, tu me racontes tes premières récitations, tu me tends ta lettre au père Noël, ton carnet de notes est élogieux. Un autre jour, je te vois : pendant l’orage, tu es sous le préau, à l’abri de son toit. Maille à l’endroit…
Et puis, je me découvre dans la glace du métro, je me réalise, effigie enceinte à lunettes, cherchant continuellement dans le futur les meilleurs squares, les meilleurs parcs, les meilleurs espaces verts. Maille à l’envers…
Les autres, ils se demandent pourquoi je souris tout le temps. S’ils pouvaient me prendre un peu de mon bonheur, juste pour se réchauffer le cœur. Attention, le contrôleur. Toi, tu es mon petit passager clandestin, mon trésor, mon butin ; il va réclamer mon titre de transport, ce maladroit. Maille à l’endroit…
Il va regarder mon ventre rond et penser : c’est un garçon ; c’est sûr, à Bastille, il aurait pensé : fille. Je vais lui tendre mon ticket réglementaire. Maille à l’envers…
Je suis curieuse de savoir si tu vas aimer les épinards ; si tu n’aimes pas, ce n’est pas grave ; moi, je n’arrive pas à les avaler. On n’en fera pas ! Les jours de pluie, on restera à la maison ; on regardera la télévision ! Mieux, on jouera, toi et moi, au Monopoly, au jeu de l’Oie. Maille à l’endroit…
Les jours d’été, on ira se baigner, je t’apprendrai à nager, on ira voir la mer ! Maille à l’envers…
Station debout, station du futur, station assise, station couchée ou station Opéra, maille à l’endroit, un jour, tu auras peut-être un petit frère. Maille à l’envers…
Mon bébé, pour que tu n’aies jamais froid, maille à l’endroit, je tricote une brassière, ton premier pull-over. Maille à l’envers…
Pascal