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- Vous partirez quand vous aurez terminé les retouches ma p’tite !
- mais madame, il fait déjà nuit… et je dois…
- il suffit ! N’oubliez pas de bien fermer la porte à clef, quand vous aurez fini… et elle est partie comme ça, avec ses hauts talons qui claquaient sur les dalles.
- sale bête, vieille peau, vieille maquerelle !
Maintenant, Mauricette est seule dans l’atelier désert, avec ce mannequin ridicule et la veste de Monsieur Duclos, oh pardon, de Monsieur le Député, qui attend ses dernières retouches. Celui là alors, quel prétentieux ! Il lui fallait « absolument » ce costume pour le lendemain matin, il partait en week-end à Deauville ! Pour faire le beau avec sa dernière conquête, certainement…
Un beau cochon oui ! Lorsqu’elle a dû s’agenouiller devant lui pour prendre les mesures de son pantalon, à partir de l’entrejambes, il n’arrêtait pas de faire plaisanteries lourdingues, des allusions à sa virilité… « Si vous voulez, vous pouvez vérifier, puisque vous avez votre mètre ruban… »
Et la patronne qui gloussait derrière lui : « oh, Monsieur Duclos, Monsieur le Député, quel séducteur vous faites » !
Séducteur, je t’en ficherais oui ! Un beau cochon ! Des heures supplémentaires pour ce bellâtre, alors que Pierrot l’attend tout à l’heure, à la sortie du Métro !
Elle a délicatement enlevé le beau veston de Monsieur Duclos du mannequin sur lequel il trônait et l’a étendu sur sa table de travail.
– « une tenue légère, des teintes claires » avait il demandé au début de la semaine.
- « printanières, jeunes, primesautières… » avait renchéri la patronne.
Printanières ! Je t’en ficherais marmonne Mauricette. Elle a pris la grande paire de ciseaux qu’elle avait laissés sur la table et commence à chantonner : « viens Poupoule, viens poupoule viens… quand j’entends cette chanson, ça m’rend tout polisson ah… »
Et consciencieusement, en s’appliquant à respecter le dessin des lignes imprimées sur le tissu, elle se met à découper le beau veston de M Duclos en tout petits morceaux qu’elle dispose artistiquement sur la table, comme un puzzle.
Elle s’est un peu reculée pour voir le résultat, elle replace quelques morceaux qui font désordre, surtout avec les bosses, et tout à fait contente de son travail, elle reprend les premières paroles de sa chanson : « le Samedi soir après l’turbin, l’ouvrier Parisien.. »
Parce que Pierrot le lui a promis, demain soir, il l’amène danser au bal musette, rue de Lappe, dans le quartier de la Roquette… en attendant, il faut qu'elle se dépêche, il l’attend peut être déjà…
Sur le présentoir, à l’accueil, elle a pris l’une des cartes de visites de sa patronne, Marguerite Laborde « styliste », sur laquelle elle a écrit ces quelques lignes avant de la placer, bien en vue, au centre du puzzle :
Bon week end Monsieur le Député
Avec les compliments de Marguerite Laborde
La mère maquerelle.
Ps : ah, j’oubliais, pour respecter les consignes de la semaine, elle a placé son aimant de couturière au dessus de cette carte, afin que ses compliments ne s’envolent pas.
Bon weekend end Mauricette, et vous aussi les Mil et une…
Ilonat