sujet 44/2020 - clic
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Si Pépé pensait avoir échappé au pire en revenant de la grande guerre clopin-clopant mais surtout clopant, il ignorait qu'en 1814 soit cent ans plus tôt les cosaques de la garde impériale russe – non contents d'avoir fait valser Napoléon – nous avaient laissé un cadeau empoisonné.
Le "cosaque-choc"est un truc aussi compliqué à prononcer qu'à faire mais qui amusait beaucoup ces charmants envahisseurs gratteurs de mandoline.
Pépé était convaincu d'avoir épouser Mémé pour le meilleur mais c'était sans compter sur cette folie qui la prit un beau matin de vouloir lui apprendre à danser ce qu'on appelait selon Pépé le "cosaque-choc" et selon d'autres kozachok, kazatchok ou encore Vertpeny Kozackok pour les plus vicieux.
Le principe en était sournois et peu orthodoxe pour l'époque puisque Mémé menait la danse tout en tapant des mains pour indiquer les changements de figure au cavalier qui tentait de l'imiter.
Si le mouvement paraissait aussi simple et linéaire que marcher au pas, il n'en était pas moins rapide dès le départ et sur un tempo en constante augmentation qui ressemblait juste avant la chute, au franchissement des tranchées et déclenchait chez le pauvre homme ce célèbre cri hystérique: "Tous aux abris".
Après quelques atterrissages musclés Pépé ressortit de l'armoire aux souvenirs ses bandes molletières dont la protection lui garantissait une demi-heure de répit avant ce qu'il nommait les grandes manoeuvres.
Il y aurait volontiers ajouté son casque lourd si Mémé ne l'avait pas depuis longtemps recyclé en pot à géraniums.
Au fil des assauts quotidiens et à mesure que montait sa haine envers les ukrainiens, Pépé en venait à regretter que Napoléon n'ait jamais fait la guerre aux argentins ou aux tahitiens, enfin à quelque peuple aux moeurs festives et moins athlétiques.
Il disait que quand on possède une mer noire et qu'on pêche au harpon on ne peut pas être tout à fait normal...
Perfectionniste, Mémé s'était documentée et multipliait les variantes, alternant le kuban-kazachok connu de quelques initiés russes du Sud et le ter-kazachok du Nord Caucase dont les différences selon l'expression de Pépé étaient 'frappantes'!
Mais la ténacité légendaire de Mémé allait donner un tournant particulier à l'apprentissage du "cosaque-choc" lorsqu'elle décida de remiser le phonographe pour faire venir à la maison des musiciens joueurs de cithare et de bandura plus couleur locale.
Les "Poupées cosaques du Vertep" ainsi nommées sur une réclame – traduction fidèle de kazatchok – étaient en fait trois authentiques blondes particulièrement plantureuses et dont les attraits eurent tôt fait de faire perdre la tête et les molletières de Pépé.
Après quelques chants, échanges d'oeillades complices et frémissements de moustache, Pépé fut sommé de retourner "aux abris" c'est à dire au fond de son jardin, les poupées à leur Dniepr natal, Mémé à ses confitures de mirabelle et on n'entendit plus jamais parler du cosaque-choc.
On était en 50 – l'année de mes 3 ans – et depuis cet épisode croustillant le sempiternel entremets franco-russe qui couronnait le repas du dimanche n'eut plus jamais le même goût .
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