Julie adore les voyages. De chacun elle rapporte une image, un objet, des photos, des souvenirs.
Tenez, par exemple, la fois où elle…non, je la laisse vous raconter. Elle le fait beaucoup mieux que moi.
Julie rejette ses longs cheveux blonds, en arrière, prend une longue inspiration et :
- Siehst Vater, du den Erlkönig nicht !
Den Erlenkönig mit Kron’und Schweif ?
- Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.
Nous nous regardons interloqués, Julie n’est plus Julie, sa voix est tour à tour enfantine ou grave ; apeurée, elle resserre ses bras autour de son corps.
Puis, elle redevient normale, enjouée, la Julie que nous connaissons.
- Bon ça c’est pour le « Waldeinsamkeit ». Vous avez eu la trouille, hein, dit-elle en rigolant. Mais attendez la suite. Je me promenais, seule, dans une forêt de conifères, si hauts qu’ils en touchaient le ciel. J’étais bien, unie à cette nature ; voilà que les échos d’un galop de cheval heurtent mes oreilles. Zut, peuvent pas aller faire leurs courses ailleurs, pensais-je, contrariée.
Elle s’interrompt un instant, des images déformées passent dans ses yeux, qui s’allongent, jusqu’à ne plus être qu’une fente ; son corps devient posture de défense, mains en défense :
- Gaijin sawaru heisei ?
- Sayonara, mon fils malade. Toi sage japonais savoir quoi faire pour mon fils ?
Tout ceci prononcé en mode voix rauquement brutale.
- Roi des Aulnes, lui voir ? No problem. Moi connaître solution. Toi devoir attendre Komorebi.
- Komorebi, was ist das ?
- Moi pas pouvoir traduire en langue teutonne. Juste mot japonais. Toi attendre fin de la nuit. Moi rester avec toi.
- Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht,
Was Erlen könig mir leise verspicht ?
- Qu’est ce qu’il dit, votre rejeton?
- Il entend le Roi des aulnes.
- Hou lalalala, il délire à fond, ya de quoi se faire harakiri…
- Monsieur, je vous en prie, il s’agit de mon fils, je ne…
- Vous avez raison noble étranger. Pardonnez-moi. Ce n’est pas le moment de plaisanter. Tiens le voilà votre Komorebi.
- Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
Erlkönig Töchter am düsteren Ort ?
- Qu’est ce qu’il dit? Qu’est ce qu’il dit?
- Qu’il voit le Roi des Aulnes à cette place sombre.
- Déplacez –vous, là, vous voyez, c’est Komorebi.
- Mon fils, vois –tu Komorebi ?
- Mein Vater, mein Vater, jetzt fasst er mich an,
Erlkönig hat mir ein Leid getan.
- Il dit que le Roi des Aulnes lui fait mal.
- Bon, moi avoir compris. La lumière matin calme à travers les arbres, lui pas lui plaire. J’ai solution de rechange.
Julie salue l’assemblée, d’une courbette et les mains jointes ; reprend sa taille normale, ouvrant grands ses yeux verts, bouche bouton de rose, voilà notre Julie, gestes gracieux, parfaite ondine.
- Halla, stilig kavaljer.
Cette voix câline réveille le petit. Il écarquille grands ses yeux. Sourit, puis retombe, inerte.
- Vite, belle inconnue, mon enfant se meurt, je ne sais plus…
- Ne perdons pas de temps.
Julie enfourche le destrier blanc, ses pieds délicats frappant vigoureusement les flancs de l’animal, qui s’envole.
- Nous approchons, mais il faut attendre la nuit pour Mangata.
- Mangata, oh, ma pauvre tête. Aujourd’hui, j’ai dû parler japonais, maintenant comprendre le suédois. Quand donc tout cela va s’arrêter.
- Père, père, quand je serai guéri, j’inventerai une langue et je l’appellerai l’Espéranto.
- Tu vas beaucoup mieux mon fils, à ce que je vois.
- C’est Mangata. Regardez, comme c’est beau…
Julie rêve, Julie est dans la lune. Elle ne nous voit plus. Elle se baigne dans les reflets de la lune, quelque part, main dans la main avec un beau cavalier, à l’infini.
Et mein Sohn, mein Sohn, où est-il passé ?
Tous les soirs, à la télé, vous pouvez le voir et l’entendre dans « Le retour du Roi des Aulnes deux »,joué en espéranto.
1- Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes,
Le roi des Aulnes, avec sa couronne et ses longs cheveux ?
2- Mon père, mon père, et tu n’entends pas
Ce que le roi des Aulnes doucement me promet ?
3- Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là-bas
Les filles du roi des aulnes à cette place sombre ?
4- Mon père, mon père, voilà qu’il me saisit !
Le roi des Aulnes m’a fait mal !
Jaclyn O'Léum