atelier d'écriture en ligne
Sujet semaine 22/2016 - clic
Il portait des culottes, des bottes de moto, il habitait au bout de la rue et c'est au niveau de ma porte qu'il mettait pleins gaz, pour mieux affronter la grande côte avant le carrefour.
Il passait tous les matins à la même heure et je savais alors qu’il était temps pour moi de me préparer à partir si je ne voulais pas rater le car. Quelle idée j’avais eu de venir habiter ce petit village à vingt kilomètres de la ville ! Ça n’était pas un problème tant que ma vieille 4L avait tenu le coup, mais un jour, après un hoquet, elle avait définitivement refusé de répondre à mes sollicitations de plus en plus rageuses et était restée sous l’appentis tandis que je prévenais que je serai en retard. C’est le directeur de l’école qui était venu me chercher pour limiter les dégâts : il y avait déjà une institutrice en congé de maladie et une en stage, pas question de disperser encore une autre classe ! Á la récré il m’avait donné les horaires des cars : facile ! une demi-heure avant le début des cours et deux heures après la fin. Point-barre. Et aucun le dimanche. Au moins je pouvais faire quelques courses avant de rentrer, encore heureux que l’arrêt ne soit pas trop loin de chez moi…
Une heure plus tard j’entendais le bruit de la machine et du tuyau d'échappement. Réglé comme du papier à musique, le mec ! S’il sortait le soir, en tout cas, c’était sans son engin.
Je ne connaissais de lui qu’une silhouette sombre et fugitive, un blouson de cuir noir avec un aigle sur le dos. Probablement qu’il ne savait même pas que j’existais, je ne pensais pas l’avoir croisé lors de mes balades dominicales dans la campagne.
Mais un soir, la moto s’est arrêtée devant ma porte. Surprise, j’ai fixé ma fenêtre aux volets fermés sur la nuit d’hiver, comme pour voir à travers. Trois coups à la porte, un grand corps qui s’encadre dans l’entrée, un sourire ravageur dans un visage à la barbe naissante, de grandes mains aux ongles pleins de cambouis qui tenaient un casque noir, assorti… Il m’a dit : « Si je n’entre pas, c’est le froid qui va le faire ! » puis il m’a expliqué qu’il était copain avec mon directeur, et qu’il venait d’apprendre, pour ma titine. Si je voulais bien, il pouvait jeter un œil, c’était son métier. Moi, je le regardais parler plus que je ne l’écoutais, en me demandant si, sur les biceps, il avait un tatouage avec un cœur bleu sur la peau blême… Comme il disait : « Demain dimanche ? » j’ai répondu « oui » sans vraiment réfléchir, le cœur et la tête déjà à l’envers, avec ces mots que je retenais à grand peine : « Ne pars pas ce soir, je vais pleurer si tu t’en vas… ». Quand il a tourné les talons, l’aigle me défiait.
Il s’est débrouillé pour trouver des pièces, j’ai récupéré ma voiture et ma liberté, de déplacement tout du moins. J’ai pu accepter une soirée en boîte avec mes collègues. J’y ai retrouvé mon sauveur dont une méchante langue de voisine m’avait affirmé que jamais il ne se coiffait, jamais il ne se lavait, ce qui, à l’évidence, était faux. Je fondais comme une glace au soleil… Alors Gérard m’a glissé dans l’oreille de ne pas trop fantasmer sur son pote : il avait une petite amie, du nom de Marie-Lou.
Idylle morte avant même d’avoir existé…
(L'homme à la moto - clic)