atelier d'écriture en ligne
sujet 08/2018 - clic
Un attroupement sombre de personnes battant la semelle, mains dans les poches et cols relevés patiente devant la mairie. Hommage aux Résistants dont on voit encore quelques silhouettes hésitantes soutenues par de plus jeunes, enfants, petits-enfants de héros venus honorer la mémoire de ceux qui ont combattu pour leur liberté.
Plus tard il y aura une cérémonie avec dépôt de gerbes, sonnerie aux Morts et chant des Partisans sur le port, devant le monument qui leur est dédié.
Lucie n'ira pas.
Elle y aurait pourtant sa place, elle qui a passé plusieurs mois dans le maquis en compagnie d'Antoine son grand frère. Papa maman les avaient déposés là une nuit, au milieu d'une végétation inextricable pour qui ne connaissait pas le maquis, à proximité d'une grotte qui leur apporterait un abri pendant qu'eux, Jean-Baptiste et Pierrette entreraient dans la lutte clandestine. Peur des représailles, crainte que les enfants ne deviennent des moyens de pression au cas où les choses tourneraient mal.
Du haut de ses douze ans, Antoine avait réconforté Lucie, apeurée comme un petit lapin, déroutée par le bouleversement brutal de sa jeune vie. Courageux Antoine qui avait essayé de combler l'absence des parents, la douceur et la sécurité d'un toit rassurant entre les parois obscures d'une grotte perdue. "T'inquiète pas" disait-il, "je suis là pour te protéger".. Et Lucie pensait que son protecteur serait bien fragile contre les hommes de l'Ovra ou une horde de sangliers déchaînés ou bien encore quelques fantômes, comme dans les contes que l'on chuchotait, avant la guerre, autour de la cheminée, en pelant les châtaignes.
Des mois de solitude, un ravitaillement rapide et irrégulier assuré par les femmes du village, les hommes étant tous soit soldats, soit dans la Résistance.
Lucie avait gardé un sombre souvenir de l'expérience et en avait longtemps voulu à ses parents de l'avoir abandonnée tant qu'elle ne fut en âge d'en comprendre l'impérative raison.
A la Libération, Pierrette et Jean-Baptiste avaient repris leur vie de labeur au milieu des oliviers et des orangers si longtemps délaissés. C'est qu'il y avait du travail à abattre et la vie devait reprendre, les enfants avaient faim et devaient retourner à l'école au plus vite. Lorsqu'on est venu leur demander de se faire connaitre officiellement pour toucher quelques aides et ajouter leurs noms à ceux de leurs frères de combats, ils ont simplement haussé les épaules sans comprendre. Ils avaient fait leur devoir, rien de plus et s'en étaient retournés dans les champs, peu soucieux d'honneur ni d'argent.
Alors pourquoi se rendre à cette cérémonie? Lucie n'avait pas de fierté ni d'honneurs à revendiquer, ses parents ne l'auraient pas voulu et son Panthéon personnel lui suffisait sans avoir recours aux blablas officiels.
Non, Lucie n'irait décidément pas. La vie continue. Tournant le dos au port, elle se dirige vers la gare d'où s'ébranle une manif qui va défendre d'autres causes, le destin des jeunes d'aujourd'hui pour que demain soit un peu plus bleu qu'aujourd'hui.
Et ce ne sont pas ses 82...85 ans, Lucie est discrète sur le sujet, qui l'empêcheront de se tourner vers l'avenir, la vie.
Elle se glisse doucement dans le cortège, relève son col car la grêle se joint à la fête. C'est une manif plutôt joyeuse, on y est venu avec les enfants et les chiens, heureux de se retrouver et de se serrer les coudes, encore une fois.
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