atelier d'écriture en ligne
sujet 03/2019 - clic
Qui avait pu mettre autant de gaîté dans ce petit bout de femme ? Pas sa « mère » en tout cas, qui était sévère, ne riait jamais, se plaignait sans cesse de la difficulté de l’existence, des mauvaises nouvelles entendues à la radio, du coût de la vie et de la dévaluation du franc.
Lucette était comme ça, malgré les circonstances particulières qui l’avaient fait entrer dans la vie de ce couple sans enfant, mais désireux néanmoins de fonder une vraie famille, comme tous les amis de leur entourage.
A six ans, on ne se rend pas compte, on fait confiance aux adultes, on mène sa barque sans se soucier du reste, on se crée un petit univers bien à part, on invente sa vie, on développe l’immensité de son imaginaire loin de l’agitation et des soucis des grands.
Lucette ne pouvait pas encore comprendre que sa « mère » ne l’avait pas prise pour elle-même, pour lui redonner une nouvelle chance, un foyer chaleureux, un confort qu’elle n’aurait jamais eu sans elle, mais bien pour satisfaire un besoin de maternité que pratiquement toutes les femmes éprouvent dans leur vie, cette envie de s’approprier entièrement un petit être sans défense, de le dominer, matériellement et moralement, et de le mener par le bout du nez où bon leur semble.
Les interdits et les injonctions ne manquaient pas : Lucette, ne fais pas ci… Lucette, ne va pas là, Lucette, je t’ai dit maintes fois de…Par chance, Lucette était ce qu’on appelle une bonne nature. Toujours contente, soumise et gaie.
Et puis il y avait eu l’affaire du tiroir de la chambre.
Lucette, je t’interdis d’ouvrir ce tiroir. Plus tard, tu comprendras.
Lucette avait 10 ans à présent, toujours aussi joyeuse et insouciante. Malgré l’emprise dominatrice de sa mère. Et l’histoire du tiroir lui avait échappé. Mais ce jour-là, quelqu’un avait oublié de le refermer. La tentation était grande. Elle tira avec beaucoup de mal ce lourd tiroir de chêne qui lui parut peser une tonne. IL n’y avait rien à première vue qui puisse l’intéresser. Mais tout au fond, en passant la main, elle découvrit un cahier, une sorte d’album jauni par les années, il lui sembla que c’était un album de photos. Et sur ces clichés vieillis par le temps, elle ne reconnaissait personne, ni son père, ni sa mère. Elle voyait une dame en noir avec un petit bébé bien emballé dans son maillot, qui ne souriait pas. La mère ne souriait pas non plus. Elle avait l’air triste, presque malade…Un autre enfant, plus grand, était à ses côtés, c’était un joli garçon au sourire timide, à la chevelure ondulée, qui lui fit tout de suite penser à elle. N’avait-elle pas, comme lui, de beaux cheveux noirs bouclés dont ses parents étaient si fiers ?
Lucette referma l’album et le remit précieusement à sa place. Surtout ne pas dire à « maman » que j’ai désobéi. Mais qu’y avait-il donc de si mauvais pour elle dans les clichés de ces personnages inconnus, mais sympathiques, dont maman de lui avait jamais parlé ? Si elle en avait le courage, elle lui demanderait un jour qui étaient ces gens. Pour l’instant, elle se contenta de repousser le tiroir et de repartir à ses jeux. Dimanche, elle irait chez Martine, qui avait une collection de poupées incroyable et si son frère était bien « luné » ce jour-là, il les inviterait sans doute à jouer avec lui au train électrique qui faisait la fierté de son père, qui l’avait entièrement conçu.
Oui, décidément, la vie était belle…
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