atelier d'écriture en ligne
- A Fiedor, je lègue tous mes livres…
La voix du notaire se perd dans la brume. Fiedor est cloué sur la chaise, sonné comme un boxeur sur le ring.
Ses livres ? Ah ! La vieille bique ! Ah ! La s…
Non, ne dis rien, Fiedor ! Respire, respire ! Le notaire va peut-être…
Hélas, Fiedor se retrouve comme un idiot dans la rue au côté d’un type un peu mal à l’aise. A lui, Fiedor, le neveu, les livres ; à
cet inconnu, représentant la Société Protectrice des Animaux, la maison de famille, les bijoux et un portefeuille d’actions.
Je vaux moins qu’un toutou à sa mémère, qu’un perroquet rachitique, qu’un… qu’un… qu’un… Fiedor s’étrangle dans ses
pensées.
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- Mais où je vais caser tout ça ?
Le livreur ne répond pas, le reçu signé il s’envole presto pour une autre livraison. « Time is money » telle est la devise de son
patron.
Trois grandes caisses bourrées de livres poussiéreux ! Le trésor de tante Aglaé !
- Mon héritage ! Me faire ça à moi qui déteste lire ! râle Fiedor en donnant un coup de pied dans une des caisses.
- Mais à propos que lisait tante Aglaé ? Voyons voir…
Kessel… Mao (hé, hé, la vieille était curieuse de tout)…Orwel (connais pas)…Swift ? (Ah ! oui, Jonathan le goéland, belle musique
!)…la Bible (j’y crois pas ! elle a lu l’ancien testament ?)…Sartre (rien que ça !)…Camus (peste soit de toi Tata)…Gulliver (que de souvenirs, je le réserve pour le lire éventuellement mais puff
! je préférais la bd de ma jeunesse)…
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Depuis un mois, Fiedor s’amuse comme un fou et dilapide son héritage sans aucun remord. Finies les idées noires, fini l’ennui, il a
retrouvé la voie du bonheur simple, celle de la création. Face à son appareil photo et un livre à la main il fait l’idiot ou l’épouvanté, joue au curé dubitatif quant à une éventuelle
multiplication des pains, vois passer d’un peu trop près des goélands, crée un jardin pour Gulliver, a la nausée au point de vomir des lettres en pagaille, se retrouve dans la savane aux
prises à un lion cruel, mets des gants avec Camus, dégouline de rouge à cause de Mao, se paie une cuite à la Téquila et une barbe de trois jours face à Kant...
Un vrai délice cet héritage ! Et surtout une belle revanche sur tante Aglaë qui l’a toujours considéré comme un débile parce qu’il
est artiste.
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Les questions fusent, les appareils photos crépitent. Fiédor, fier comme un paon de son premier prix au Concours de la Photo de
l’Année, fait face à la presse nationale et dans le brouhaha général il se permet un dernier pied de nez mental à l’adresse de sa muse Aglaë.
-Demain, promis, je vais offrir le gite à un chien qui se languit à la S.P.A. Aglaë, n’est ce pas un joli nom pour un toutou ? Aglaë
au pied ! Ici, Aglaë ! Va chercher…
Mony