atelier d'écriture en ligne
Tout d’abord, je remercie Miletune d’avoir choisi une de mes peintures pour la soumettre à votre interprétation.
Il est toujours intéressant et amusant de découvrir ce que d’autres ont vu à votre place, et j’ai eu plaisir à lire vos textes.
Assez paradoxalement, j'introduis toujours un peu volontairement une sorte d'énigme lorsque je compose un tableau, plaçant une ambigüité dans l'expression d'un visage, dans la situation représentée, ou dans ce qui pourrait se passer hors du cadre... et pourtant je redoute la question « qu’est-ce que tu as voulu dire » lorsque je le montre à quelqu’un. Je n'aime pas nécessairement livrer mon intention, car le but est justement de donner à chacun des pistes ouvertes à la tergiversation. J'aime écouter ce que l’autre y voit, que cela contredise ma propre "version", que cela la prolonge, ou encore que cela me donne à voir un tout autre tableau auquel je n'aurais point pensé !
Aussi, pour l'exercice de Mile-et-Une, faute de vous donner la génèse du tableau, je vous raconterai son histoire. Il se trouve qu'il en a une assez particulière car c'est la seule peinture (je ne peins qu'en amateur) que j'aie jamais vendue à quelqu'un que je ne connaissais pas du tout. Je l'avais exposée avec quelques autres pour 1 mois dans un restaurant proche du Louvre, lorsqu'un jour j'apprends qu'une personne a laissé son nom pour m'acheter ce tableau "avec la vieille dame au soleil". Je me suis donc déplacé chez la personne pour lui apporter le tableau et nous avons un peu discuté. C'était une femme seule, la cinquante ou soixantaine. Le tableau lui parlait parce qu'il lui rappelait sa mère, qui finissait mal sa vie dans une institution pour vieux. Elle aimait "l'absence dans le regard". Je lui ai alors avoué que ce regard était celui de ma grand-mère, qui à la fin de sa vie ne nous parlait plus du tout et avait fini par perdre totalement la mémoire. Nous la faisions néanmoins venir régulièrement pour partager avec elle des moments, mais je voyais dans ses yeux une sorte de terreur intérieure, mélangée à son calme de toujours. Je pense que peut-être, elle ne comprenait pas du tout ce qu'elle faisait ici au milieu d'un repas de famille qu'elle ne (re)connaissait pas. Elle restait l'après-midi, dans le fauteuil, au soleil, regardant ce qui se passait autour un peu hébêtée... Je m'aperçois qu'involontairement, au bout du compte, j'ai adouci ce regard pour en garder un meilleur souvenir.
Quoiqu'il en soit, j'étais heureux de confier ce tableau un peu personnel à une inconnue qui l'avait choisi pour la "bonne" raison. Je me dis que même en dehors de mon regard, il continue à remplir son rôle et à susciter mon sentiment.
Sixte