atelier d'écriture en ligne
Une divine Angevine
Il y a quelque chose qui cloche ici.
J'ai reposé le « Canard enchaîné » à côté de moi sur la banquette. Plus rien ne m'y faisait rire ou sourire
à part quelques dessins et de toutes les façons j'avais bien du mal à me concentrer sur ma lecture, cela à cause de ma voisine d'en face. Je la dévisage.
Elle, de son côté, n'arrête pas de rire très fort en lisant son carnet chargé de notes manuscrites. Nous sommes seuls
dans ce compartiment surchauffé et je ne comprends pas non plus pourquoi elle a gardé son chapeau.
- Excusez-moi, Madame...
- Oui, Monsieur ?
- Vous allez peut-être me trouver indiscret mais... J'aimerais bien savoir ce qui vous fait rire aux éclats toute
seule avec une intensité telle que ma propre lecture en est troublée ?
- Oh ben excusez alors, Monsieur ! Mais c'est vrai que c'est trop drôle d'avoir retrouvé ça dans le fond de ma
valise.
- Et « ça », c'est quoi ?
- Ce sont des comm's.
- Des comm's ? Des comm's comiques alors, en quelque sorte ?
-Oh oui, pour sûr !
- Et... Pouvez-vous me dire ce que c'est qu'un comm' ?
C'est à son tour à elle de me regarder bien en face, avec un grand sourire à faire damner un saint ou à faire
remarquer la perfection des deux siens.
- Un comm' c'est un commentaire, un petit mot qu'on laisse sous un billet de blog.
Je n'ose pas lui demander ce qu'est un blog. Je fais comme si je savais.
- Vous pourriez m'en lire un ou deux à haute voix ? J'ai du mal à trouver des choses drôles dans mon journal et j'ai
besoin de rire.
- Si vous voulez ! « Quand on est chez un cannibale, ça fait du bien de ne pas se sentir dans son
assiette ». « Une pendule chère, tic tac tic tac, ça fait tiquer si c'est du toc ». « Produit », sans le « id » ça fait « prout ». « A Bruxelles,
architecte, c'est un gros mot. » « Quatre Maneken Pis alignés, ça fait plus de zizis qu'une Jeanmaire ». « Peter Pan, sa flûte, c'est du pipeau ? »
Evidemment, ça ne m'a pas déridé davantage que le Plouf et les Couacs du Canard. J'ai continué à cuisiner poliment la
jeune femme en évoquant les « Brèves de comptoir » de Jean-Marie Gourio, les aphorismes de Lichtenberg, les nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon. Elle m'a déballé de son côté tout
un tas de noms de blogueurs, d'ateliers d'écriture sur le web auxquels elles participe ou a participé. Elle m'a parlé d'un séjour à Mimizan-Plage, d'un quatuor chargé de réécrire l'histoire de
« Scherzos » mais ce stage a pris fin à cause du vol d'une valise pleine de documents. C'est pourquoi elle rentre chez elle pour écrire cette histoire.
En même temps, de découvrir autant d'enthousiasme pour des alignements de phrases et autant de jovialité dans un seul
corps, ça m'a quelque peu requinqué. Comme le train arrivait à Angers elle m'a demandé de l'aider à descendre sa valise du filet. A cause des consignes de sécurité de la SNCF, son bagage était
étiqueté. J'ai pu ainsi découvrir son prénom et son nom : Ludivine Dieu.
Quelque chose cloche dans ce compartiment et ce n'est pas que son chapeau ou le parfum léger qu'elle a laissé dans
l'air en s'esquivant.
Je viens de rencontrer Dieu et c'est une femme ! Et de ce fait, j'ai un, enfin une, homonyme !
(Extrait de « Dieu s'ennuie le dimanche... et s'emmerde les autres jours » par Joe Krapov)
P.S. Le personnage de Ludivine Dieu est très librement inspiré de la toujours étonnante blogueuse Iowagirl
(http://iowagirl.over-blog.com/article-dilemme-64641163.html). Les comm's sont issus de sa plume et elle a servi de modèle au peintre.