Ils m’ennuient, ces fieffés flatteurs, à encaustiquer les pompes de ces écrivaillons à la petite semaine. Avec l’emphase démesurée qu’ils déploient, leurs pléthores d’adjectifs dithyrambiques, pour glorifier telle ou telle lecture, ils en deviennent surréalistes, menteurs et hypocrites. Leurs propos flagorneurs de caresseurs d’âme sont même souvent plus jolis que les textes qu’ils ont lus. Un instant, rendez-vous compte de l’effet ricochet…
L’auteur gargarisé, ému, gonflé, par tant d’encensements, tant de prosélytisme, réitère ses exploits plumassiers avec une verve surmultipliée !... Il se commet, il recommence, il anticipe, il s’obstine, il puise dans l’excès pictural toutes ses métaphores sculpturales ; galvanisé, adoubé, enhardi, par d’autres tabellions, il multiplie ses attractions floues de littérateur !... Enfin connu, il ne demande qu’à être reconnu !... Il cherche un éditeur !... Maintenant, il veut partager ses superbes écrits avec la terre entière !... Il est la référence planétaire avec ce qui s’écrit de mieux !... Il est touché par la grâce, il survole les débats ; l’Inspiration est le moteur de sa vie, le souffle de ses respirations, le battement exalté de son cœur. Ses mots sont des madrigaux, ses pensées sont des sonnets, son écriture est littérature. Son nom est déjà gravé au panthéon des dramaturges, de ses cendres pousseront un arbre forcément millénaire et, de ses écrits, on disserte sur tous les bancs des amphis. L’ego gonflé d’une gloire gourmande, il condescend pourtant à jeter quelques mots d’encouragement à un autre barbouilleur du site. Son avis est une attestation, ses silences sont des certificats…
Amputé de modestie, il ne veut rien entendre ; il est sourd à la moindre critique, il est sûr de son aura de poète posée sur sa tête comme une couronne de grand esthète. Son sceptre est sa plume, son encrier est un puits de sensations et son cahier est le réceptacle de ses fabuleux mots d’aède. Vaniteux, il fonce tête baissée, aveugle, il défonce les portes ouvertes, il est sûr du caractère impérieux de sa mission écrivaine et jette aux oubliettes les quelques remarques désobligeantes, les bémols tendancieux, les critiques utiles. Rempli d’amour-propre, il ne dit rien, il se tait ; il ne s’exprime plus que par ses textes interposés !... Il est superbe, il est généreux, il est présomptueux ; il est dans une sphère que même nous, nous ne comprendrions pas. Sûr de son bon droit : il est l’Inspiration, la Nature est son jardin, il tutoie Dieu…
Il fait fi de la syntaxe, de la conjugaison, de l’orthographe de ses maîtres à penser !...
Comme la grenouille, il se gonfle d’orgueil et de sentiments grandiloquents ; il a réponse à tout, rien ne peut le surprendre, il flotte sur le nuage de la célébrité en route (en vol). Autodidacte, il signe de son pseudo équivoque, en caractères gras, et c’est souvent le seul trait d’esprit de sa composition dont il s’affuble comme un gendelettre introduit dans le cénacle des célébrités…
A la moindre distorsion, à la moindre nuance, à la moindre insinuation cartésienne, il monte sur ses grands chevaux, il monte au créneau, le plumitif, il rétorque : Comment osez-vous ?!... Deux points de suspension ?!... Enfin !... Mais c’est ma marque de fabrication !... Pas de majuscule au début d’une phrase ?... Mais mon texte est d’un seul tenant, voyons !... Pas de verbe dans la phrase ?... Mais il est sous-entendu, pauvre béotien !... Il est à même de vous enguirlander de ses semonces de prosateur avec moult adjectifs dénonciateurs !... Il a aussi ses admirateurs patentés, sa galerie de tifosi, son troupeau de brebis, pour suivre chacune de ses homélies !... Bec et ongles, il vous renvoie à vos lignes d’étude, à vos interrogations morales, à vos doutes légitimes…
A ceux-là, ces hédonistes griffonneurs, ces faiseurs de graffitis, ces épistoliers à la gâchette facile, je leur demande simplement d’aller ouvrir n’importe quel livre de Victor Hugo, de Maupassant, de Gide ou de La Bruyère, et de parcourir au hasard quelques chapitres pour qu’ils s’étalonnent avec ce qu’est la vraie poésie, la vraie lecture, la vraie pulsation écrivaine.
Mesdames, messieurs, anagnostes de tout poil, revoyez à la baisse vos commentaires de lecture, cessez les superlatifs pompeux ; soyez honnêtes avec vous-mêmes et surtout avec celui qui a déclamé ses quelques mots, dans l’ordre approximatif des règles élémentaires, d’un pauvre vocabulaire, pour lui éviter d’attraper la grosse tête.
Sauvons le…
Le plaisir incommensurable d’être lu passe avant tout par le total respect de l’écrivain envers ses lecteurs. Je sais bien que le monde tourne à l’envers, que ce qui était bon hier est devenu mauvais et que le mauvais est aujourd’hui la recommandation juste et normale. Cette tolérance bon enfant engendre la faiblesse et la faiblesse, le ridicule. De semaine en semaine, ce que je lis est de « plus en plus pire », si je puis m’exprimer ainsi. Sans nulle vindicte, j’en reviens toujours à la même conclusion aristocrate : quand on n’a rien à écrire, quand les trompettes de l’inspiration se taisent, quand l’encrier s’endort à marée basse, on ferme sa gueule et on capuchonne son stylo.
L’Ecriture est un jeu, un jeu de mots, mais ne rien dire, ne rien voir et ne rien entendre, n’est-ce pas aussi favoriser la bêtise, accepter l’ignorance et banaliser outrageusement l‘incompétence ?...
Pascal.