Debout à côté du juke-box, Daniel se sent mal à l’aise, ridicule même quand il capte son reflet dans la glace bombée qui lui renvoie une image déformée de sa tronche surmontée d’un énorme cran qui retombe sur son front. Elle n’y a pas été de main morte, la coiffeuse, pour discipliner ses tifs ! Il a au moins un pot de gomina sur le crâne ! Et cette dégaine… Gâté par la costumière aussi : avec sa chemise noire largement ouverte et sa grosse veste tricotée, il est un improbable compromis entre Dick Rivers et Starsky ! Il sait au moins qu’Hutch n’est pas loin… Il doit sans doute s’estimer heureux, lui qui n’aime que les chaussettes noires, d’en avoir obtenu une paire de cette couleur. Encore que, avec des mocassins blancs… Enfin…
Allons, la séquence de ce remake des années 60’ va être courte, il n’aura droit qu’à une prise, il faut que ce soit la bonne. Le scénario et le dialogue réduit on été revus à la dernière minute pour les besoins de la cause, mais à part lui, personne ne sait pourquoi. Il doit se montrer à la hauteur de son personnage. Avant de faire face à l’appareil, il embrasse d’un dernier regard le décor : tous les garçons et les filles sont en place. Même ceux qui faisaient les charlots il y a quelques minutes se taisent, dans l’attente du moment magique. Juste quand il se retourne en se disant : « C’est un coin qui me rappelle… », le mot « ACTION » claque. Alors la musique explose, comme sortie du ventre de la machine qui lance des éclairs de lumières multicolores, et derrière lui tous se trémoussent en poussant des cris de chats sauvages. « Let’s twist again ! »
Comme convenu, Daniel passe et repasse sa main à l’arrière de sa tête, comme pour lisser ses cheveux, en listant les titres proposés à l’écoute. Il pose un doigt sur une touche, hésite, le pose sur une autre, ne se décide pas, se gratte le crâne de la main gauche puis, dubitatif, caresse le clavier à la recherche DU disque. Une jeune femme s’approche de lui, court vêtue et casquée de blond. Elle l’observe un instant puis lui adresse la parole :
- Alors, beau gosse, tu te décides, ou tu laisses la place ?
- Tu peux m’aider si tu veux, y a trop de choix !
Elle est fine comme une biche, elle a dessiné au crayon noir ses jolis yeux. En riant, elle le bouscule d’un coup de hanche en disant : « Vous permettez, Monsieur ? » Elle lève un index à l’ongle nacré, et appuie sans regarder sur un numéro :
- Celui-là, par exemple !
Elle ne peut s’empêcher d’essuyer son doigt collant de gomina sur sa jupe.
- Excellent choix ! approuve-t-il.
Alors que les premières notes du « Pénitencier » résonnent sur le plateau, il poursuit :
- Inspecteur Leblanc. Christine Sorel, je vous arrête pour le meurtre de votre amant, Michel Dulac. L’empreinte que vous venez si gracieusement de nous offrir sera la preuve formelle qui nous manquait. Emmenez-la ! dit-il en la conduisant vers deux des pseudos figurants présents.
Au passage, il a entendu quelqu’un murmurer à la fille : « N’avoue jamais… ». Il y a donc encore du boulot ici. Mais tandis que la blonde menottée s’éloigne, il ne peut s’empêcher de penser : « Elle était si jolie… »
Galet
sujet semaine 48/2015 - clic