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12 janvier 2018 5 12 /01 /janvier /2018 13:09

sujet 01/2018 - clic

- Habille-toi chaudement et enfile tes bottes fourrées, j’ai besoin de ton aide, avait dit Papa.

Je n’avais pas répondu mais mon visage à lui seul devait exprimer mon dépit. Pourquoi me désigner moi et pas mon frère aîné, lui qui sautait sur le moindre prétexte pour s’échapper de la maison et fuir ses devoirs de math ou d’anglais ?

Maman, fine mouche, avait glissé dans ma poche sa petite lampe-torche tout en chuchotant : tu verras, tu n’en auras pas besoin.

Pas besoin, pas besoin !  Ecœurée, je ronchonnais entre mes dents. Mes parents ne savaient-ils pas que j’avais horreur de l’obscurité, qu’elle me tétanisait ? Pourquoi cet éboulement de terre bloquant la route avait-il eu lieu dans l’après-midi ? Pourquoi Papy s’obstinait-il à vivre seul dans cet endroit reculé ? Pourquoi était-il cloué dans son fauteuil par une terrible crise de sciatique ?

Alors que nous avions quitté le village et gravissions la colline à travers les pâturages, je m’obstinais dans mon dépit et dans mon refus de donner la main à mon père. Je n’étais plus une môme quand même, j’avais treize ans, il y allait de ma fierté !

Mon père ne disait mot, seul son souffle accentué par le poids du sac à dos me réconfortait quelque  peu. Dans ma poche, ma main enserrait la lampe-torche. Allais-je l’allumer ? Ma fierté, une fois de plus me freinait. Mon frère aurait dit : toi et ton fichu caractère de cochon !

Cochon ? Non, ce n’était pas un cochon qui venait d’émettre ce bruit qui m’avait fait sursauter, les cochons étaient enfermés dans la porcherie de Jacques, à l’autre bout du village…

- C’est une vache qui tousse dans la prairie à côté, bientôt le gel sera là et le père Blanchard rentrera le troupeau à l’étable, avait précisé Papa.

Brrr, un frisson m’a parcouru de la tête au pied et pourtant je n’avais pas froid, bien au contraire la marche activait mon sang, mais cette nuit noire semblait tellement hostile qu’elle m’étreignait dans son étau.

Comment mon père faisait-il pour se diriger si précisément vers les échaliers nous permettant de passer d’une parcelle à l’autre, comment ne butions-nous pas contre les haies d’épines et de sureau ? Avait-il des yeux de chat ?

Flisch, flisch, faisaient nos bottes dans l’herbe humide. Schh, schh, chuchotait le vent à nos oreilles. Hou, hou, ironisait un oiseau de nuit dérangé dans sa chasse par notre passage.

Alors que nous avions entamé la descente de l’autre versant de la colline un avion dans le ciel a semblé nous faire des clins d’œil de ses feux réguliers. Le renard vivant dans le trou Malbrought les observait-il lui aussi ?

Et les lièvres ? Les belettes et les fouines ? Tout ce petit monde de la nuit ?

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Papa est allé nourrir et soigner les lapins installés dans les clapiers abrités dans la grange. Les trois poules perturbées de rejoindre si tard leur abri n’ont pas manqué de faire entendre leur mécontentement. Papy, pour qui j’avais réchauffé le repas préparé par Maman, a ricané lui aussi. Ah ! Les canailles, elles ont eu peur de se faire croquer par maître Goupil !

J’ai risqué une question… Comment Papa, son fils, connaissait-il si bien la colline et dans le noir en plus ?

- Hé, hé, tout cela, c’est grâce à ta mère, il la rejoignait au village quasi tous les soirs et le chemin est plus court à travers tout. Ensuite…, une grimace de douleur a interrompu sa phrase, …ensuite, il a acheté une mobylette… mais tu sais on voit très bien avec ses oreilles et même en couleurs…

Voir avec ses oreilles ? La fièvre devait embrumer le cerveau de Papy !

Pourtant, sur le chemin du retour, alors que mon grand-père était enfin bien installé dans son lit, j'ai pensé que oui, on voyait très bien avec ses oreilles et j’ai pris la main de mon père que j’ai serrée furtivement mais très fort en chuchotant : merci d’avoir pu t’accompagner.

Quand j’ai déposé la lampe-torche sur la table Maman m’a lancé un regard pétillant de malice et mon frère a cru bon d'ironiser : alors, pas trop noire la nuit ?

Je ne lui ai pas tiré la langue ou fait un pied de nez, non, cette obscurité, étrangement, m’avait fait grandir….

 

 

Le blog de Mony - clic

commentaires

A
Un belle histoire où la nuit noire, loin de faire peur, rend meilleur ....
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A
Très joli , comme d'habitude :)
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L
J"aime beaucoup ton récit, plein de suspense et tout en délicatesse et respect de l'autre. Sans oublier le sel de l'humour !
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D
Un bien joli récit ! Bravo!
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M
Ton histoire m'a donné la chair de poule à un moment précis...L'amour des proches n'est pas toujours verbalisé même si les sentiments sont là...
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J
dans le noir je perd mon équilibre déjà bien précaire... j'ai tremblé à chaque pas Mony
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J
Une corvée dans le noir et puis au final... ;-) ce restera de bons souvenirs d'ado et une leçon en prime !
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V
Voilà un récit qui va rassurer plus d'un gamin à l'heure tétanisé par la peur du noir... vive les oreilles et vive le cocon familial
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