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17 mars 2018 6 17 /03 /mars /2018 20:07

sujet 11/2018 - clic

Paris, hiver 1930.
Jeanne a quinze ans.
Pendant le repas dimanche dernier elle a crânement annoncé qu'elle ne retournerait pas à l'école, qu'elle avait trouvé du travail. Elle avait soutenu le regard noir de son père sans ciller, avait dit: c'est décidé. Et Albert stupéfait n'avait rien trouvé à dire.
Ainsi sa fille s'était débrouillée sans lui alors qu'il ne s'était douté de rien. Elle avait dit c'est décidé, sur un ton qu'il n'aurait pas supporté quelques jours plus tôt, elle s'était imposée, frontalement et en quelques secondes il avait compris qu'elle avait grandi, qu'elle lui échappait sans retour. Qu'aurait-il pu dire d'ailleurs, lui coupable de ses habitudes de jeux qui plaçaient toujours sa famille sur le fil, et Louison qui s'esquintait les yeux sur son travail de couturière brodeuse, sa douce Louison qui ne lui reprochait jamais rien et faisait bouillir la marmite puisqu'il n'assumait pas, ou pas souvent...
Soulagée Jeanne pensait qu'elle paierait les études des petites, les deux dernières puisqu' Estelle était déjà apprentie dans une maison couture. Et puis sa vie commençait, se dit-elle en relevant la tête.
Malgré le courage mêlé d'une volonté farouche et cet air détaché qu'elle affichait le front haut, l'échéance approchant lui valait de récurrentes insomnies ces derniers jours.
Ce dimanche-là, le dernier de sa vie d'enfant, le petit jour s'était annoncé plus tôt que d'habitude. Elle était allée dans le séjour pour ne pas éveiller sa soeur et avait écarté le rideau.
C'était un petit matin bleu, complètement bleu. La croisée entrouverte laissa filtrer un ruban d'air vif, piquant. Jeanne, d'ordinaire peu contemplative se laissa doucement happer par ce paysage urbain qu'elle aimait viscéralement, les angles arrondis de neige douce et protectrice et les lueurs chaudes, rassurantes qui ponctuaient discrètement le tout. Pas un bruit, la ville dormait encore sous le feutre blanc.
Elle respira largement l'air froid et excitant. Sa vie commençait. 
Elle ne pouvait se douter que deux jours plus tard le hasard,  sur le long trajet à pied qu'elle effectuerait pour se rendre à la Villette, placerait  la Place du Combat où elle ne serait pas la dernière à lever le poing et  qu'elle y  connaitrait son premier amour dans la foulée. 
Non, Jeanne ne pouvait pas savoir que la vie la projetterait si violemment et si vite dans les passions humaines. Mais elle s'en sentait la force, ce matin-là, dans la magie de ce petit matin bleu.
Fébrile, elle fourragea un peu le poêle pour le ranimer,  songea soudain qu'il faudrait remonter du charbon  de la cave et qu'elle emmènerait les petites au Luxembourg dans l'après-midi.
Un dernier coup d'oeil à la fenêtre lui montra que la lumière bleue s'était enfuie.
Oui la vie commençait.

 

 

Le blog d'Almanito - clic

commentaires

D
Une grande sœur courage !
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E
quand réuniras tu les flashs dans la vie de Jeanne sous un format lisible en continu ?
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M
Je ne sais si tu fais référence à un moment précis de cette année 1930 en évoquant la Place du Combat mais cette période fut une période rude et d'une juste revendication. J'aime la façon dont tu nous plonges dans cette famille pas plus miséreuse qu'une autre mais au sein de laquelle la jeune Jeanne prend conscience qu'elle seule est maître de sa vie.
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A
C'est surtout en 36 que c'est devenu intéressant et que tous les espoirs étaient permis;)
V
Belle évocation d'un destin teinté de bleu...
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D
J'aime beaucoup ces derniers instants de soeur protectrice avant les prochains, plus rudes d'une vie de femme qu'il lui faudra assumer. Mais elle a du caractère Jeanne, n'est-ce pas ?
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