sujet 17/2019 - clic
Je l'appelais le Café Barbe à Tabac du Tonton Joseph, le petit café dauphinois, avec sa tonnelle en glycine qui sentait si bon au printemps. Dans le café aux tables de noyer rutilantes, règnait une effluve prégnante de pastis et de tabac froid . C'était encore le temps des balbutiements du rock n' roll. Le café se remplissait le dimanche après la messe car l'église était en face. Il faisait le plein à l'occasion d'un concours de boules qui se déroulait sur la place de la même église, ou d'une course à vélo dont l'arrivée était forcément la place de l'église, centre du village, et le Café Barbe à Tabac du Tonton Joseph qui était le point de référence obligée pour la remise des trophées.
Mais celui que j' appelais le Tonton Joseph, qui avait toujours une blague en réserve et un sourire contagieux qui vous enveloppait, avait d'autres cordes à son arc que celle de cafetier . Il était tour à tour cafetier, paysan, sportif invétéré, et surtout … surtout … barbier … Et là, c'était du sérieux !
Car il était barbier et coiffeur, le Tonton Joseph. C'était sa singularité, c'était sa fierté, sa petite vanité, un art qu'il avait appris par je ne sais quel mystère mais où il se révélait et il excellait ..
Barbe de trois jours, de six jours, de dix jours ou barbe de toujours, aucune ne lui résistait. Il rasait, il taillait, il sculptait, il inventait. Quelque poil que ce fut, poil sauvage, doux, dru ou velu, lisse ou frisé, quelque barbe que ce fut, collier, bouc ou barbe touffue, trouvaient leur maître.
Sans faire de chichis, le client, qui était toujours un ami, entrait dans son salon, non par le café, mais directement, par un tambour qui s'ouvrait sur deux portes, celle de la cuisine en face et celle du barbier à gauche..
Il pénétrait alors dans une grande salle aux carreaux de grès rouges ebréchés, qui servait de repli, avec de vieux meubles emplis de la vaisselle du dimanche, quelques jambons et saucissons pendus au plafond, quelques objets hétéroclites, des sacs de blé ou d'avoine posés à même le sol qui attendaient.
Et au fond... tout au fond, il y avait le salon du barbier. C'était une alcove éclairée d'une fenêtre où trônait un fauteuil tournant recouvert de moleskine noire, installé devant une coiffeuse en chêne recouverte de marbre brun veiné de beige, avec un miroir pivotant qui vous regardait bien en face.. Sur la table par ordre chronologique d'utilisation, s'étalaient tous les outils du barbier.
Cachée derrière un sac de blé, fascinée, je le regardais oeuvrer à son art. C'était un rituel. .
Il commençait à installer le client sur le siège, déboutonnait le col de chemise, l'entourait d'une grande serviette nid d'abeilles, s'enquerrait de ce qu'il désirait, puis passait à l'offensive, sérieux, précis, concentré. Dans un bol de porcelaine blanche, il faisait mousser le savon à barbe à l'odeur de cologne avec son blaireau et badigeonnait de mousse le cou et le visage du patient jusque sous les yeux. Puis, le coupe-chou entrait dans la danse. D'abord, il l'aiguisait, puis glissait en douceur de bas en haut, en traçant des lignes bien nettes, puis de haut en bas, ou, selon la barbe, taillait aux ciseaux, au poil près avec une attention et une précision particulières. Enfin, avec l'épisode de la mousse, c'était le moment que j'aimais le plus, il passait sur le visage du client une énorme houpette de poudre rose aux senteurs de cologne puis, content, le grand rire revenu, il se reculait pour voir l'effet produit et il était heureux.
et à écouter pour le plaisir : les 4 barbus - clic
Le blog de Lecrilibriste