sujet 2/2020 - clic
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Il n’y avait plus une seule goutte d’alcool chez lui, il venait de laper la dernière à même le goulot, et pour cela il se méprisait encore un peu plus. C’était bien la seule chose dont il se sentait capable d’ailleurs. Après avoir perdu son talent, sa réputation, il piétinait sa dignité. Il avait été assez stupide pour croire que tout lui serait donné après le succès de son premier roman, il s’était laissé griser par l’encens des critiques flatteuses, l’argent de ventes époustouflantes, les invitations et les interviews. Il se disait que sa vie ne serait plus jamais pareille désormais. Et c’était vrai.
Passé l’ivresse d’une gloire éphémère, on avait vite attendu de lui qu’il concrétise ses débuts prometteurs en écrivant un second roman. Il s’était accordé le temps de trouver un sujet qui en vaille la peine, en gardant un carnet et un stylo à portée de main, tout en jouissant de l’aisance de la réussite. Mais le temps durait et son éditeur devenait pressant, les revues ne parlaient plus de lui que pour s’interroger sur son silence, puis, dernièrement pour douter de son réel talent d’écrivain. Certains avaient même suggéré qu’il n’avait pas écrit seul son premier livre. Son horizon devenait sombre.
C’est maintenant qu’il a besoin d’un coup de main, là, devant cette feuille blanche qui l’angoisse et finit par l’hypnotiser ! Il est vide comme elle. Pourtant la vie est là, qui palpite autour de lui : cette portière qui claque, est-ce sur un au revoir ou un adieu ? ces pas dans l’appartement du dessus, sont-ce ceux d’une femme qui s’apprête pour retrouver son amant ? cette musique qui s’infiltre par la fenêtre entr’ouverte vient-elle d’un poste de radio, est-ce un concertiste qui s’entraîne ou un mendiant qui quête quelques pièces au coin de la rue ? Autant de possibilités pour débuter une histoire, mais sa plume est sèche et l’encre de son imagination s’est figée. Il a tous les éléments, comme des diamants dans leur gangue, il lui manque les mots-outils pour les dégager et l’émotion pour les polir.
Tout l’alcool qu’il a avalé, tout le café qu’il a bu l’ont lesté d’écœurement et d’une sensation bizarre de flotter à côté de lui. Pour meubler le vide il s’est mis à griffer le papier de zébrures noires, noires comme le désespoir qu’il sent monter en lui. Il gribouille sans autre but que de remplir la page. Et lorsqu’il voit les traits s’agencer et le dessin d’une main tendue apparaître, il se dit que son délire vient d’enfanter du secours qu’il appelait tout à l’heure.
Avec un rire nerveux, il décide d’aller se passer un peu d’eau sur le visage, mais lorsqu’il veut se lever, la main agrippe son poignet si fort qu’il lâche son stylo avec un cri. Il se débat en vain, c’est une poigne de fer qui le retient et le tire tout à la fois vers la table, comme si elle voulait le faire entrer dans le rectangle blanc, comme si… Il hurle en réalisant qu’il s’engloutit vraiment dans le papier, qu’il va disparaître, qu’il est absorbé.
La seconde suivante, un courant d’air soulève doucement la feuille qui atterrit dans la corbeille à papier, nue, presque pure, sauf un petit quelque chose, comme une poussière sans importance, un point, c’est tout.
Le blog de Galet