Ta casquette faisait un pli dans ton épaisse chevelure. Lorsque tu la retirais, tu avais toujours l’air mal coiffé. Quelque fois
c’était juste pour passer la main dans ta tignasse rebelle, mais si c’était dans l’intention d’en corriger quelques uns ou quelques unes, valait mieux se tenir à carreaux.
Autour du ventre, pour tenir le pantalon, tu portais ces longs tissus, flanelle en hivers, plusieurs tours, les reins ainsi maintenus
pour les durs labeurs dans les champs.
Je me souviens de toi avec tes chevaux, tu me disais de ne pas approcher. Lointains souvenirs de la petite enfance, je savais ta
sollicitude.
Une autre fois, tu faisais le cidre, et tu nous appelas, nous faire goûter le premier jus dans une vieille casserole toute bosselée.
Tu riais, tu disais : « Il ne faut pas trop en boire ». Longtemps j’ai cru que c’était à cause de la casserole, on dirait bien qu’elle n’était jamais lavée, bien calottée. Mais non, le premier
jus de pomme, si bon, si doux, c’est un sacré laxatif !
Dans la cour de la ferme, tu lavais tes pieds dans une cuvette, et quand nous passions, tu nous éclaboussais, grand-mère te criait
dessus, et nous nous décampions comme de jeunes poulettes.
Ce que tu pouvais la taquiner, la Mariette, le comble le jour de la St André, c’était ta fête, le jour d’anniversaire de ta première
fille, notre mère, et puis la grande foire à Chartres. Le dernier weekend de Novembre, nous partions tous, petits et grands, le repas du midi avait été plus que d’ordinaire arrosé, et tu étais si
gai. Tu déconnais quoi, tu faisais péter les limites, le trop plein de sérieux, c’était des farces toute la journée, qui n’amusaient pas du tout, du tout, grand-mère. Ces yeux gris devenaient
noirs, et les tiens si bleus riaient si fort.
Tu parlais peu, tu pouvais rester des heures sans rien dire, je ne t’ai jamais entendu donner un avis, débattre, discuter quoi. Aussi
lorsque le jour de mes 12 ans, tu m’as dit : « Te voici grande maintenant », et encore, me montrant du doigt la langue de bœuf qui trônait sur la table : « Regarde, celle-là, elle n’a jamais
menti », de tous les cadeaux reçus ce jour, je ne me souviens que de celui-ci.
Tu vois, la seule chose qui me rende triste, alors que me reviennent tous ces souvenirs de toi, c’est quand devenu bien vieux, ils
t’ont interdit, de faire ton jardin, sous prétexte que… ben, oui, n’importe quoi !
Comme si la durée de la vie pouvait remplacer son intensité. Tu n’as pas supporté, et tu es tombé en dépression, plus le goût à rien,
tu as traîné comme ça quelques années, tes yeux bleus toujours mouillés de larmes qui ne coulaient pas.
Ta peine, la même que celle des animaux privés de liberté…
Miche