Élise s’approcha de la vieille assise devant la fenêtre. Sa tête était baissée comme celle d’un esclave devant son maître.
- Mamy ? chuchota-t-elle.
La tête blanche et lumineuse au soleil ne bougeait pas.
Élise s’assit, fatiguée. C’était une mauvaise passe comme une autre, cela passerait, mais elle voulait entendre encore l’histoire de
son arrière-grand-mère, celle qui naquit esclave, et encore bébé, fit le voyage vers la liberté à pied comme tant d’autres avaient fait avant elle, guidée par le courage et la détermination de sa
mère à elle.
Élise connaissait l’histoire par cœur, mais personne ne la racontait comme faisait Mamy, qui transformait toujours la narration en
danse épique. Ses yeux brillaient et sa voix -comme un grand fleuve qui traverse la terre irrésistiblement, sans peur. Ses mains, ses épaules, son dos, son visage ridé – tout son être obéissait
aux rigueurs du récit.
À chaque fois qu’elle l’entendait, c’était comme si elle, Élise, devenait cette même petite fille. Elle s’oubliait en sentant la
peur, la faim, l’espoir de cette petite fille lointaine. Les mêmes épines blessaient ses petits pieds, le même froid la mordait à travers ses haillons…
Il fallait absolument qu’elle entende encore une fois - une dernière fois, promis, Mamy - cette histoire, celle de son
arrière-grand-mère, un héritage communiqué en tableau vivant par sa grand-mère…
- Mamy ?
Élise essaya encore de réveiller la vieille devant elle.
Joye