Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 14:42

 

 

Depuis le jour de ma naissance, je savais qu’elle m’attendait. Elle avait mis du temps, c’est sûr, à me préparer une place, à sculpter pour moi en intaille un moule presque parfait, ce moule qui , un jour, qui sait exactement quand, m’accueillerait définitivement en elle.

Plusieurs fois, successivement, elle s’y était reprise. Elle y avait déjà tracé la place d’un petit corps étroit, minuscule, facile à creuser, juste quelques poignées de sable à retirer, et l’endroit était prêt. Qui sait : il faut prévoir, même lorsqu’on contient en soi la somme de tant de mystères, et de tant de vérités.

Puis la mer progressivement avait tout recouvert, il fallut recommencer. Cette fois, elle s’appliqua à creuser un peu plus profondément, à dessiner des formes graciles, harmonieuses, nuancées, délicates. Toujours en vain. La locataire tardait à prendre sa place, on aurait dit qu’elle voulait s’accrocher, s’enraciner là où l’on ne cherchait qu’à l’enfouir, la recouvrir et l’aspirer.

Elle dessina ensuite les contours d’une forme épanouie, généreuse, heureuse et comblée. J’avais trente ans, j’étais en pleine force de l’âge, séduisante, sûre d’elle et en pleine santé. Une belle famille, des enfants qui trottent et vous grignotent vos jours et vos années. La maison n’était que rires et chansons, bonheur et prospérité.

Mais le temps, impitoyable, passait…

Quinze ans, vingt ans… le vent avait tourné, j’étais seule à présent, abandonnée, oubliée de tous, désormais le silence avait remplacé les rires, la maison était désertée.

C’est alors qu’elle se mit à recreuser. A creuser mes peines, mes souffrances, mes cris, mes appels au secours. Jour et nuit elle creusait, j’entendais les bruits réguliers et martelés de la pelle qui peinait à la travailler. A retirer les pierres et les chaos d’une âme si tourmentée. Qui s'évertuait à faire d'un désert aride une plaine fertile, un limon.

Dans mon sommeil hanté, j’entrevoyais déjà ma place, je me rapprochais tout doucement d’elle, et dans un état d’apaisement total, j’allais l’essayer, pour voir, je m’allongeais tranquillement en elle, la félicitant, elle, la grande voyante de l’univers, d’avoir si bien deviné mes désirs et dessiné si parfaitement mes contours, ceux d’une femme meurtrie et marquée par les années, si loin des grâces bénies et provocantes de la jeunesse.

Je ne cherchais plus à lui plaire, ni à prendre pour elle des poses avantageuses, mais seulement un abri,un havre de paix, un petit nid de réconfort après tant d’années de souffrance et de solitude. Tant de fois, je l’avais appelée à mon secours, tant de fois, je pensais qu’elle m’avait oubliée.

Le jour J allait bientôt arriver. J’étais prête, je n’aurais aucun mal à retrouver l’endroit. Je l’avais si souvent rêvé, tant de fois sollicité de mes vœux les plus chers. Ce jour-là, ce serait la fête, j’enfilerais ma petite robe de soie bleue, celle qui me serre un peu de partout, comme un vague rappel de mon bonheur passé, et je prendrais enfin mes marques pour l’éternité.

 

Cloclo

commentaires

C
<br /> <br /> Merci à tous pour vos commentaires, l'image de la tombe qui s 'ajuste selon els âges de la vie, c'est une idée qui m'est venue en observant l'image. métaphore, allégorie ? Ce qui veut dire qu'il<br /> faut toujours être prêts ?? cloclo<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> Texte très intéressant pour la forme et pour le fond. Bravo !<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
E
<br /> <br /> est-ce une allégorie (mes connaissances sont minces en linguistique) que cette image de la tombe prête depuis la naissance et qui s'ajuste petit à peit ? en tout cas le conte philosophique et<br /> poétique est magnifique<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> J'ai oublié la correction du pseudo, ce n'est pas Lilou mais Lise qui écrivait le commentaire ci dessus.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br /> J'ai aimé cette image de la place..à enfiler comme un gant..<br /> Elle me parle aussi des tous ces instants où dans la course de nos vies nous ne trouvons pas notre place.. Merci pour ce beau texte.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
V
<br /> <br /> L'essayer c'est l'adopter... mais le plus tard possible. Vision originale d'un "cimetière marin"<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> Bonsour cloclo... Je rejoins Mony, quand la mort devient fête parce que la vie est enfer.... Superbe !!  J'aime !!!  Amitiés de jill <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
V
<br /> <br /> Bonsoir,<br /> <br /> <br /> Je suis conquise. C'est un texte fort sur la mort édicté avec des mots doux, consolateurs. Surprenant.<br /> <br /> <br /> Valdy<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Quand la mort devient fête... c'est une très beau et pudique texte sur cette fin inéluctable qu'il nous faut apprivoiser chaque jour. J'ai appris le mot intaille. Merci Clolo, Mony<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre

  • : Mil et une, atelier d'écriture en ligne
  • : atelier d'écriture en ligne
  • Contact

Recherche

Pour envoyer les textes

Les textes, avec titre et signature, sont à envoyer à notre adresse mail les40voleurs(at)laposte.net
 

Infos