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2 septembre 2013 1 02 /09 /septembre /2013 07:02

Humeurs, urines ou sueur ?... C’est épais ?... Jaune ?... Ca pue ?... C’est liquide ?... Blanc ?... C’est inodore ?... Aujourd’hui, c’est le test grandeur nature et je ne peux demander à personne, elles font toutes semblant de ne pas me voir…

Troisième année d’infirmière, c’est mon contrôle de fin d’études. Mais non, je ne peux pas goûter… Déjà que je suis allergique au sang… Quand ils ont charcuté ce pauvre soldat, j’ai failli tourner de l’œil !... Il avait quoi déjà ?... Un éclat d’obus dans la jambe !... Le toubib, il ne se gêne pas : quand cela se complique, il coupe !... C’est notre saigneur…

L’hôpital, c’est un repaire de flibustiers aux jambes de bois, aux yeux crevés et aux crochets d’acier !... On pourrait mettre une tête de mort sur notre drapeau !... C’est la menuiserie d’à côté qui ne chôme pas : béquilles en tout genre, moignons moulés, atèles personnalisées et cercueils de toutes tailles ! Nous, on débauche de la vie et l’usine embauche des employés !... Ha, le malheur des uns…

Alors, la mère sup m’a flanqué à La Charité chez les congénitaux et les grippés. Moi, je les soigne avec de l’antirouille… Ils toussent, ils crachent, ils transpirent, ils se roulent dans les draps pour apprivoiser leurs hallucinations !... Je leur dis de prier pour passer le temps. Quand je rentre dans les chambres, je monte au front. Ben oui, j’éponge leurs figures baignées de transpiration adipeuse…

C’est fragile, un homme. Un ou deux degrés de température, de trop ou de pas assez, et le voilà recroquevillé, banni des bien-portants, au rayon marginal des absents, en train de revisiter ses dévotions pour se mettre en règle avec Là-haut… Parce que, la menuiserie, elle ne fait pas dans la plume. Une paire d’ailes, en état de vol, ça se mérite… Bon, ma fiole… Allez ma fille, va voir, au soleil du Seigneur, la transparence du liquide. J’en renverse ?... Si ça glisse, si ça colle ou si ça attaque le parquet ?... Ho, je sais rien, je vais encore redoubler… Qui veut goûter ?... Amen.

 

Pour la douze, c’est bien un verre de rouge?... C’est encore moi de corvée de becquée avec ce grand gougnafier. En tout cas, ils ne lui ont pas coupé les mains, à celui-là !... Caporal de réserve dans la cavalerie, d’accord, mais avec moi, il n’en a pas !... Il met une petite pièce sur son plateau comme un pourboire de séduction !... Avec ses yeux doux, il est plein de sourires équivoques et sa moustache frétille !... Régime sans sel, le petit caporal Casanova !...

Il faut voir comme il attrape les miettes de pain avec son doigt mouillé !... Je dois rougir car il pousse ses avantages, ce sabreur de manège : je pousse mes miches !... Je n’ai que vingt-cinq ans mais si j’avais eu vingt-cinq ans de service, il aurait eu affaire à moi, ce Roméo de rodéo !...

Mais faut écouter toutes les sornettes qu’il me raconte !... A l’entendre, il a fait toutes les guerres !... L’était à Waterloo, à Wagram, à Arcole, à Iéna, Marengo, Austerlitz, cet ostrogot !... C’est ma coiffe qui doit lui plaire… La cornette, c’est bien mais c’est dans les virages serrés, les croisements et les portes que cela se complique. Nous, les anges de la terre, pour garder l’esprit sain, nos ailes sont sur notre tête !... C’est la mère sup qui le dit tout le temps !...

Ventouses, lavements, appliquer les sinapismes, masser les rhumatisants, enterrer les morts, d’accord, mais comment on pratique avec les obsédés ?... Dans nos livres, rien sur ce chapitre !... Je vais laisser tomber son crucifix là où ça fait mal, cela va le calmer… Je le trouve un peu trop cavalier, cet écuyer… Quand le capo râle, l’infirmière cavale… C’est une mule qui lui a marché sur le sabot (un sabot de l’ébénisterie d’à côté) et il me la joue Attila des grands espaces !... A cette heure de convalescence, il ne tiendrait même pas sur un cheval de carrousel, le picador !... « Laisse tomber deux gouttes du liquide de ta fiole dans ma soupe, petite, c’est pour mon vétéran d’opérette… »

C’est quoi ?... L’Angélus ?... Ouf, sauvée par le gong, si je puis dire… Amen.

 

 

Bon, une pincée de salsepareille, trois graines d’hellébore, un soupçon de mandragore, un zeste d’hysope, et si j’y mettais quelques fleurs d’anis pour parfumer l’ambiance ?... Mais qui m’a piqué ma poudre de perlimpinpin ?... De l’escampette, je n’en ai plus. Ils s’en allaient tous en courant !... Allez, à feu doux… Soigner les jambes de bois, les gueules de bois, les langues de bois, avant de les voir partir entre quatre planches, telle est ma condition d’herboriste à vocation de guérisseuse… Tu parles d’une potion !... Et c’est encore moi qui m’y colle… Faut laisser macérer, comme ils disent dans la recette ; mais je n’ai pas que ça à faire, moi !...

Et l’autre gamine avec sa bouteille… On dirait qu’elle voit les microbes en train de se baigner. Elle ne ferait pas la différence entre de l’eau bénite et du vin de messe et quand on lui parle d’autel, elle demande si les lits sont moelleux !...

Entrez chez les Sœurs de la Charité, c’est un ossuaire non, c’est un sacerdoce… C’est de l’Amour, le don de soi, de la générosité, à l’état pur. Même avec des années de crachats, de bile, de drains, de pisse, de pleurs, de misère, nous ne sommes pas blindées sous nos robes de bure. Alors c’est normal, on les bizute un peu, nos nouvelles…

On a piqué un peu de ratafia, celui planqué sous l’oreiller de la mère sup et on a rempli la fiole de notre apprentie. Depuis ce matin, de mal en peine, elle hante les couloirs avec toute une ribambelle de points d’interrogation accrochés à son habit comme des petits orphelins affamés… Allez, avec ma carafe, je vais trinquer avec elle, peut-être qu’elle comprendra enfin… Ca bout !...  Holà !... Mollo !... Amen.

 

Pascal

commentaires

M
Entre un saigneur, un menuisier-croque-mort et une herboriste à qui on ne l'a fait plus voilà un bizutage dont l'élève se souviendra.
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J
les temps changent...les soins restent &quot;presque&quot; les mêmes !<br /> miasmes et relents<br /> j'apprécie le ton de cette histoire
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V
Grandeur et abnégation des filles à la cornette... après ça on critique notre milieu hospitalier! C'est bien l'hôpital se fout de la Charité :)
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E
tragi-comique, un texte dense et superbement écrit
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C
L'humour, la politesse du désespoir pour les gueules cassées.
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B
Bien amusant ton texte Pascal.
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J
Hi hi, à cette époque une vie bien remplie que celle de soeur de la Charité.... ainsi en était-il !
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