Un jour de chance, sur un quai de partance, nous nous sommes croisés à la station de métro Wagram. Sagement, elle attendait sa rame. Comme une flamme trentenaire, elle pliait sous les assauts des courants d’air. Alors, sa jupe si légère se soulevait et tous ses motifs imprimés se mélangeaient devant mes regards impressionnés. J’aimais bien son regard lointain, son allure de fragile pâquerette et ses cheveux piqués dans un chignon malin avec cette si grande barrette…
Les aléas des métros passants avaient des bouffées de vents chauds, ceux de vacances généreuses et toutes les publicités affichées se contorsionnaient dans des postures racoleuses…
Tout à coup, dans cet antre tellement impersonnel, j’ai entendu gazouiller les hirondelles, chuchoter des soupirs de cascadelles, crier des véhémences inconditionnelles, tirer des feux artificiels, psalmodier des incantations surnaturelles… J’ai vu s’ouvrir des murs de citadelle, s’allumer des étincelles, des amants enlacés sur leur balancelle, des blessures mortelles devenir superficielles et des vieilles cordes de polichinelle jetées enfin à la poubelle…
Des tunnels, soufflaient des vents du large, des vents de Costa Brava, où des chimères capricieuses manoeuvraient au milieu de danses ensorceleuses… Les mirages se touchaient, les illusions étaient réelles, les prières s’exhaussaient… Il montait à mes yeux des courants de grande marée et à mon nez inquisiteur des effluves de parfums de viande grillée… Estivants, nous étions attablés dans un restaurant de la Rioja en train de déguster des côtelettes d’agneau grillées aux sarments. Elle avait des rires qui assaisonnaient tous les plats et des sourires qui abreuvaient toutes mes pensées. Le soleil de la terrasse avait des prétentions de majesté en plantant des banderilles fleuries dans les ombres cachées…
Seul, j’entretenais une conversation d’arlequin car elle était trop investie dans la lecture de son bouquin. Pourtant, les rames bruyantes n’avaient de cesse que de tenter de brouiller son histoire de papier ; les pages palpitaient de frissonnements incessants comme un éventail de corrida pendant une mise à mort aux soubresauts rougissants…
Moi, je lui parlais d’Amour. Vous savez, tous ces mots qu’on dit avec nombre d’adjectifs en couleur. Ces mots qu’on a laissé mijoter sur son cœur, ces mots préparés à la recette enivrée d’un poète rêveur, ceux qui crèvent de pudeur quand ils supplient l’inaccessible Bonheur…
Avec quelques larmes, je distillais son charme. Elle était la protectrice de mon âme, la directrice de mes frissons, l’embaumeuse de mes parfums, le tumulte de mes couleurs, la chaleur de mon sang, la sueur de mes émotions, la musique de mon entendement, mes sensations en cohortes émues et tant d’autres choses encore…
Métro Wagram… J’étais fantassin montant à l’assaut du vacarme, grognard émérite aux mille médailles mordorées tintinnabulant des sombres victoires aux paysages trop campagnards, hussard sabre au clair mais à l’œil bagnard, empereur vantard de l’armée de mes sens en bataille !...
Allons, ma Belle, allons jusqu’à poursuivre ces pèlerins sur le chemin de Compostelle, mêlons-nous à l’ombre de leur airain, marchons ensemble main dans la main ; j’ai dans mes plans secrets des chansons de tourterelle et des refrains de ritournelle !… A nous, l’Espagne et ses châteaux, à nous ses fêtes et ses mâts de cocagne, ses éventails et ses taureaux, ses plages et ses montagnes !...
Moi, j’aimais bien cette muse de nulle part. J’aimais accrocher mes illusions de départ le long de ses remparts. Elle était là, posée dans un moment charnière de ma vie, au soleil clignotant des néons blancs et j’exhumais le charnier de mon cœur avec les prévisions enjouées d’un Don Quichotte comploteur…
Le souffle du vent des courants d’air revenants crachait sur les quais des papiers gras et des journaux fanés. Quelques gobelets roulaient en bout d’aventure ; ils s’échouaient sous les bancs ou mouraient dans le ballast sans une éclaboussure. Des lumières papillotaient, çà et là, en déroulant des publicités éphémères…
D’un couloir invisible, un violon mélomane tirait sa romance sur des airs de fandango. Moi, je marchais vers elle en m’initiant enfin au pas de l’heureux tempo. J’aurais voulu être castagnettes pour lui compter fleurette ou matador pour lui susurrer un flamenco…
Comme je me découvrais poliment pour la saluer, une rame est venue s’allonger le long de son quai, en criant son arrêt. Les publicités se moquaient si bien de mon geste de désespéré perdu dans le vent…
Précipitamment, elle s’est engouffrée dans un compartiment et je l’ai suivie des yeux comme le pire des châtiments. Il n’est qu’à Paris qu’on puisse supporter cette terrible peine capitale… Les glissières se sont rabattues derrière elle telle une guillotine convenue. Elle est partie. Il ne restait plus que les deux yeux rouges du dernier wagon pour me cligner des œillades d’adieu. Comme une fermeture éclair irrationnelle, les rails se perdaient dans le tunnel…
Pascal.