3 septembre 2013
2
03
/09
/septembre
/2013
18:31
Si je tenais celui qui a inventé la cornette, je lui en ferais bouffer tous les jours pour me venger de celles qui m'éborgnent à chacun de mes soins!
Et des soins y en a croyez-moi, de matines jusqu'à vêpres...
Tout cet attirail pour nous ôter l'envie de les bécoter! Y'a bien que les angliches pour appeler ça des “kiss-not”, moi je n'ai qu'une envie: me casser pour échapper à leurs mains qui me soulèvent pour pisser et leurs regards chargés de compassion.
J'ai bien songé à mettre les bouts, me tirer à toutes jambes mais j'en ai plus.
Parait qu'elles sont encore dans la tranchée et qu'elles vont y rester vu qu'on sait plus dire laquelle est droite ou gauche ni même à quel régiment elles appartiennent.
Les soeurs sont comme moi clouées ici mais elles l'ont choisi par vocation et c'est toute la différence avec mézigue!
Par vocation ou pour Celui qu'elles ont épousé, Celui qui m'a oublié quand l'obus est tombé...
On les appelle les filles de la charité et elles en ont à revendre mais j'achète pas, tout c'que j'veux c'est rentrer au pays, loin de ces fioles, de ces bassines immondes et de ces onguents visqueux.
A voir les petits sourires qu'elles s'échangent on dirait que ça leur plait de voir un cul-de-jatte dont le seul membre inférieur rescapé tente de résister au bromure de toutes ses maigres forces.
Gardez vos mains sèches et rudes pour le pavillon des officiers à l'heure du thé, vous qui glissez sans bruit d'un lit à l'autre du même pas, sans jamais rien laisser paraître de vos secrètes pensées et laissez-moi à mon piètre plaisir...
Voilà des mois que vous massez mes moignons avec toutes ces potions malodorantes comme s'il devait jamais y pousser quelque chose.
Vous croyez m'abuser par votre camouflage, même jupe rêche, même tablier bleu, même dégaine, mêmes gestes calculés mais je vous connais par coeur car un rien vous trahit à mon oeil exercé.
Je ne vous dirai rien d'une nuque entrevue, blanche et gracile ou d'une mèche rebelle échappée de la coiffe et vite escamotée.
Rien d'une cheville découverte, d'une croupe tendue à refaire ma couche, d'un soupir appuyé quand je grimace trop.
Je ne veux rien savoir de vous - mes soeurs - qui regagnez vos chambres après le dernier service pour prendre forme humaine.
Je sais qu'alors dans le silence du dortoir surgiront au plafond, riantes, échevelées, mes soeurs de la nuit...
Vegas sur sarthe