Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 13:40

 

Je m’appelle Sara, enfin Soso la bigleuse pour ceux qui m’ont connu avant, quand je faisais la manche métro Belleville entre Jojo la Canne et la grande Vénus de Milo. Ah ! On faisait un beau trio tous les trois ! Un boiteux, une manchote et une aveugle. Oui, a parce que je ne vous ai pas dit encore : je suis quasiment aveugle de naissance, je suis née dans une famille sans ressources, mon père me battait et ma mère faisait le trottoir. Alors à l’âge de 15 ans, j’ai pris mes cliques et mes claques et je suis partie à l’aventure. Oh ! Je n’ai pas fait beaucoup de chemin entre notre pauvre taudis et la bouche de métro. En ce temps-là, j’étais plutôt mignonne et j’ai failli cent fois être la proie d’hommes d’affaires avides de sexe ou de macs intéressés par l’argent que je pourrais leur rapporter. Mais j’ai su résister, surtout grâce à Jojo, qui, malgré son handicap, savait user de son direct du gauche comme personne et à Vénus et à ses gros souliers cloutés qui ont troué, croyez-moi, plus d’une bedaine.

On était bien tous les trois, à part en hiver quand la température descendait en dessous de zéro et que le blizzard s’engouffrait dans les escaliers du métro. Alors, on se serrait bien fort l’un contre l’autre et on attendait que ça passe. Pour passer le temps, on jouait souvent aux cartes. J’utilisais le peu de vue qui me restait pour distinguer le rouge du noir, le cœur du pique, le trèfle du carreau. J’étais devenue championne à la belote et même à la manille et au rami. J’aurais bien aimé les tarots, mais le jeu coûtait cher et on n’avait pas les moyens d’en acheter un. Il fallait becqueter d’abord et aussi se baquer, c’est ce qui me coûtait le plus, ces odeurs de crasse et de renfermé puant. Quand on le pouvait, on allait se laver la nuit dans les fontaines de la ville, si belles à regarder le jour, mais si froides quand on s’y plonge en entier !

On a vécu comme ça plusieurs années, et puis Jojo nous a quittées, victime d’une pneumopathie foudroyante. Ah ! Ce qu’on a chialé, Vénus et moi, on était inconsolables. On a changé de métro pour essayer d’oublier, mais devant l’agressivité de certains collègues qui nous accusaient de violation de domicile, on a dû retourner d’où on venait. Ca aurait pu durer longtemps encore si un jour, je n’avais vu se planter devant moi un beau Monsieur très chic, bien habillé, qui voulait tout savoir de moi, depuis quand et pourquoi j’étais là, et patati et patata, que je méritais mieux que cet endroit sordide qui finirait un jour par avoir ma peau. Il me proposa d’aller boire un verre, puis de me conduire chez lui pour une toilette complète. Là , je fis la connaissance d’une dame très charmante, qui devait être sa femme, puis il m’offrit des vêtements neufs, un bon repas et un verre de vin qui, pour une fois, ne sentait pas la piquette. J’appris par la suite que son métier, c’était pasteur et qu’il sauvait ainsi des gens de la misère. Puis il m’emmena chez le toubib pour m’acheter des lunettes. Ce fut pour moi comme une révélation. Je vis le monde comme jamais je ne l’aurais imaginé. J’aurais voulu sauter à son cou pour l’embrasser, mais je n’ai pas osé. J’appartenais dorénavant au monde des civilisés.

Quand vint le problème épineux de mon avenir, il m’interrogea sur ce que je savais faire, je répondis : juste jouer aux cartes. Et c’est ainsi que, m’ayant fourni de nombreux livres sur le métier de cartomancienne, je décidai d’ouvrir cette petite enseigne où je reçois désormais les personnes avides de connaître leur sort. C’est vrai, je n’y crois pas beaucoup, mais cela me permet au moins de survivre. Monsieur Louvain m’aide à payer mon loyer quand les affaires ne tournent pas très bien, mais je ne me plains pas, les gens ont besoin, par les temps qui courent, d’être fixés sur leur sort, j’essaie de les satisfaire en leur annonçant surtout de bonnes nouvelles. C’est peut-être déloyal, mais au moins, ça leur fait du bien. C’est déjà ça.

Voilà, si vous voulez venir me trouver, rendez-vous au 7, rue de la paix, c’est là que se trouve mon enseigne à l’emblème du cœur et du pique . Mais surtout, gardez pour vous ce que je viens de vous raconter. Soso la bigleuse n’existe plus, elle est morte, elle est guérie, il ne reste plus que SARA, la belle SARA, la plus GRANDE VOYANTE de Paris. Alors, à bientôt peut-être, je compte sur votre visite.

 

 

Cloclo

commentaires

E
ah le beau mélo, bravo Cloclo !
Répondre
M
Une histoire qui finit bien... comme un petit coup de pouce au destin.
Répondre
P
C'est une belle carte de visite ! :)
Répondre
J
.quel chemin parcouru par Soso jusqu'à cette rue de la Paix...
Répondre

  • : Mil et une, atelier d'écriture en ligne
  • : atelier d'écriture en ligne
  • Contact

Recherche

Pour envoyer les textes

Les textes, avec titre et signature, sont à envoyer à notre adresse mail les40voleurs(at)laposte.net
 

Infos