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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 15:23

 

Ne cherchez pas Madame Sara dans les petites annonces des clair-voyants, mentalistes, tarologues, mediums, visuels, auditifs, et autres marabouts désenvoûteurs.

Ne croyez pas que vous la verrez officier dans des stands de foire en oripeaux bariolés.

N'attendez pas d'elle des promesses photocopiées dans votre boite à lettres "Madame Sara mettra un terme aux chaîne qui vous plongent dans l’échec dans votre vie et vous ramené dans l’équilibre. "*

Elle, c'est la quintessence de la Voyance.

Au 7 de l'avenue Allan Kardec, dans l'entrée de marbre noir du très chic immeuble 18e où elle professe, une plaque de cuivre indique sobrement : "Sara Delaunay", parmi celles de médecins et avocats étalant titres et spécialités.

Catherine Michalon a choisi Delaunay comme nom professionnel, en raison de son élégante ambiguïté aristocratique, sans toutefois tomber dans l'ostentation de la particule ; quant à Sara, c'est bien la seule concession qu'elle fasse à un léger mystère ésotérique.

Elle vous reçoit en tailleur gris perle et chemisier de soie ivoire, dans un salon classieux : moquette beige, murs blancs, bois blond, verre et cuir blanc.

Seule une boule de cristal, (à laquelle elle ne touche jamais), posée sur un haut piédestal noir et savamment éclairée par une des appliques art déco, rappelle avec malice pourquoi vous êtes là, une fois qu'un fauteuil de cuir blanc vous a happé, face à celui, situé à contre-jour, où Sara prend place. Seul autre ornement de la pièce, un grand tableau de Tamara de Lempicka, situé sur le mur opposé, représente une robuste teutonne dans les tons brun et vert de gris.

Dans le visage lisse de Sara encadré par un impeccable carré châtain, on ne voit que son regard magnétique, d'un bleu-gris intense, qui semble vous percer jusqu'à l'âme.

Mais elle sait admirablement mettre à l'aise les clients rongés par l'anxiété, l'avidité, la jalousie ou la culpabilité : ses manières sont élégantes et raffinées, mais en aucun cas hautaines.

D'une voix calme et étale elle devine et analyse chaque situation avec une incroyable justesse et ses conseils se révèlent toujours excellents. 

A l'époux volage, elle recommande plus de prudence dans ses vies parallèles, sous peine d'être privé à court terme de la fortune de son actuelle légitime ; à la légitime elle chuchote des recettes très intimes capables d'assurer l'attachement de l'époux volage (éventuellement le sien). Elle sait prédire qu'il faut au plus vite vendre les Suez, mais surtout pas la maison du grand-père. Elle pourrait même préciser, si elle ne jugeait opportun de garder ce flash pour une autre occasion, que cette maison est scandaleusement sous-évaluée par le notaire qui la convoite pour le compte de celle qu'il appelle sa nièce. Elle met en garde contre son entourage le candidat à la députation parce qu'elle a la vision très nette de courriers anonymes dans la boite à lettres du commissariat…

Bref, elle mérite amplement les honoraires, plus que coquets, qu'elle reçoit, toujours en liquide, avec la plus grande simplicité.

 

Sa journée terminée, elle passe dans la salle de bains attenante, enlève les lentilles de contact bleues posées sur ses prunelles chocolat, sa perruque châtain, et secoue avec volupté ses boucles brunes. Enfin elle accroche soigneusement son tailleur de grande marque dans la penderie où elle prend un jean qu'elle enfile avec une chemise rose, et échange ses escarpins contre des baskets.

Ainsi redevenue Catherine, elle quitte son bureau le plus discrètement du monde, puisqu'elle est seule à occuper l'étage, et quitte l'immeuble par la sortie de derrière qui donne sur une ruelle piétonne.

Elle ne craint pas d'être reconnue ; si elle avait dû l'être, ce serait fait depuis longtemps puisqu'elle compte dans sa clientèle actuelle plus d'une relation de sa précédente carrière, lorsqu'elle était Katia, l'une des hôtesses les plus distinguées de Madame Svletana.

Elle, au contraire, a gardé d'eux des souvenirs très précis qui confèrent à ses prédictions une acuité diabolique.

Maintenant qu'elle est retraitée de la galanterie, elle habite sur le quai une jolie villa d'où elle peut voir passer les péniches, et vers laquelle elle se dirige présentement à grands pas, profitant de cette douce fin d'après-midi, pressée de retrouver Galaad, son épagneul doré, et .la volière de perroquets verts que Svletana lui a léguée quand elle a dû repasser précipitamment la frontière..

De l'époque slave elle a conservé trois "réguliers", comme on dirait dans un roman de Simenon, peu encombrants puisque, en raison de leurs obligations professionnelles et familiales, ils ne viennent qu'un jour par mois ; chacun ignore, non l'existence des deux autres, la ville est si petite, mais leur statut de concurrent.

Ce sont Jacques Lefranc, un avocat octogénaire toujours vert et disert, le Commissaire Grosset, et Maitre Rapinat, notaire. (il y a toujours un notaire dans les romans de Simenon, alors qu'on peut déplorer que leur cote ait beaucoup baissé à notre époque de courses poursuites et autres cascades).

 Ces "réguliers" qui ont connu Katia fringante dominatrice aux tresses blondes en couronne, ne sont pas mécontents que Catherine leur offre maintenant un accueil bourgeois et presque conjugal qui sied mieux à leur forme actuelle.

Elle sait en particulier les écouter pendant des heures, et, ce qui les change agréablement de leurs épouses, elle s'intéresse beaucoup à leurs activités professionnelles : ils se connaissent depuis si longtemps qu'ils se sentent parfaitement en confiance avec elle.

 

Depuis quelque temps, toutefois, pour mettre à jour ses petits carnets noirs, elle fait moins confiance à sa mémoire, et elle utilise une ces petites merveilles de la technologie, un magnétophone miniature de haute définition enchâssé dans le pied de la lampe de chevet.

 

Emma  

commentaires

A
Ce texte nous donne un goût de reviens y , ce serait bien d'avoir une suite .
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M
Un vrai personnage de roman.
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V
Attachante histoire d'une voyante à double vie à défaut de double foyer :)
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P
Heureusement, je ne suis ni notaire, ni avocat, ni commissaire... :) Après les petits carnets roses, ce sont les petits carnets noirs. Ha, ce recyclage du troisième âge...
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J
un texte qui se boit comme du petit lait.<br /> Cette Sara Delauney comme je la vois bien!, son salon classieux, sa voix calme et étale, son Tamara Lempicka, il me semble le connaître. J'en ai un à la maison: une femme magnifique aux yeux de braise, sensuels et coquins, à la bouche pulpeuse . Une femme qui domine un petit homme aux lèvres pincées.<br /> Oui Emma, ta description, ton histoire éveillent curiosité et une certaine nostalgie de cette belle époque et surtout me font rêver et bien sûr mon imagination galope.<br /> Un texte qui me plaît bien. A quand la suite?
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M
Époustouflant. on en redemande ! C'est une page que l'on lit d'un trait !<br /> Elle a du répondant cette Katia.. et sait manipuler les tuyaux !!<br /> Bravo Emma
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J
Katia guidoune à la retraite (partielle) a su se reconvertir et mettre à profit ses &quot;connaissances&quot; ! <br /> (ttc ses revenus ...)
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J
Double vie... Catherine/Sara, ou Sara/Catherine.... et Katia entre deux ! Merci emma
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