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25 juin 2013 2 25 /06 /juin /2013 07:13

 

« ‘Tain, pourtant, je l’avais dans ma ligne de mire !... Je n’y comprends plus rien…Toi, ma bonne vieille pétoire, tu me laisses tomber au moment le plus crucial !... Jamais tu ne m’as fait défaut et, là, tu fuis devant l’ennemi !... Mais non, je ne tremblais pas !... » 

 

C’est ma femme qui se moque… Taquine, elle aime bien mes retours au parfum contrit de grande bredouille. Elle en profite pour me caresser l’ego avec ses gentillesses de terroir. Le jour où la chasse à la bartavelle sera ouverte, c’est sûr, je prendrai mon permis… Les plus beaux souvenirs sont ceux qui dorment, empoussiérés, sur le rebord de la cheminée et j’y mettrais bien sa photo…

 

« Depuis quatre heures, ce matin, j’étais caché à mon poste. J’ai regardé l’aube arriver.

A cette saison, elle ne peut s’empêcher de venir accompagnée par la rosée !... Mais non, je n’ai pas éternué, j’avais mes grosses chaussettes et ma parka !... Si tu avais vu tout l’assortiment de perles dont les arbres se paraient… Le soleil est venu embraser tout cela en rajoutant des touches de couleur dans chacune des larmes suspendues aux branches… Mais non, je n’étais pas ébloui !... Puis, c’est toute une palette de parfums qui s’est immiscée dans le décor bucolique… C’était un étal de thym, de champignons, de bruyère, de mousse, d’herbe mouillée et de mille autres senteurs sauvages… Mais non, je n’avais pas bu !...

 

A l’affût, j’étais planqué dans les fougères comme un soldat paré pour l’embuscade…

En bas, dans le vallon, j’entendais les rabatteurs, leurs sifflets, leurs cornes et tout leur attirail de bruiteurs assidus à la tâche !... Ils avaient même lâché les chiens !... La battue était lancée… Si tu avais entendu comme ça gueulait !... Il passait des oiseaux, des faisans, des lièvres, des lapins, des chevreuils, toute la faune sauvage de la forêt !... »

 

« L’arche de Noé devant la vague tueuse des chasseurs fous… »

 

« ‘Tain !... D’abord, je l’ai entendu… C’était un bruit sourd de galopade, de feuilles écrasées, de branchages cassés !... Le sol vibrait, les arbres tremblaient, la poussière se soulevait…

Il est passé à moins de dix mètres !... On aurait dit un puissant soc de charrue emballé tellement il fonçait tête baissée !... Il défonçait les racines, emportait les buissons, déplaçait les caillasses !... Il avait dû se rouler dans une souille ; de son pelage hirsute, il se dégageait une vapeur de transpiration brutale. Il soufflait, il renâclait, il crachait comme une locomotive en haut de sa montée !...

Il m’a regardé !... Mais non, je n’étais pas caché sur un arbre !... Si tu avais vu ses dents !... Dans sa gueule, on aurait dit les cornes de Belzébuth… Mais non, je ne fermais pas les yeux, mais je récitais mes meilleures prières… Ses naseaux étaient comme deux cheminées en plein travail de respiration emballée !... Entre deux rochers, à la passe, je l’ai tiré !... Pan ! Pan !... Je l’ai manqué !... Un solitaire de deux cents kilos, au moins !...

 

Mais oui, mes cartouches, c’était les bonnes !... Les rouges, c’est des gros plombs et les bleues, c’est des petits !... C’est moi qui les prépare… »

 

« Oui, je sais, tu laisses toujours de ta poudre noire sur la table de la cuisine !... »

 

« Il m’a reniflé de loin, le monstre !... J’avais les oreilles qui sifflaient ma pétarade au milieu de l’odeur âcre du nuage de fumée bleue !... J’essayais de recharger mon fusil tout en surveillant ses atermoiements, oui… des rouges… Mais oui, il y avait les plombs dedans… Une hure, comme ça, qui te reluque dans les yeux, faut pas avoir la tremblote !... J’ai remis deux cartouches mais, avant que je l’ajuste encore, il a disparu en grognant sa disgrâce, l’animal !...

 

Quoi ?... Que je remplace mon fusil ?... Mais c’est celui du pépé, jamais il n’a failli !... Mon père s’en est servi, c’est l’héritage familial, c’est notre patrimoine à nous les gens de la campagne !... Il a tué plus de gibier que tu as cassé d’œufs en faisant des omelettes et c’est pas peu dire !... » 

 

« Faut peut-être remplacer le chasseur ?... »

 

« Tu dois avoir raison… Pourtant, les chiens ont l’air bien graissés, la culasse est en place, le viseur est ajusté, c’est à n’y rien comprendre… Mais non, mon flingue ne s’est pas enrayé !... Je l’avais nettoyé pas plus tard que la veille !... J’avais glissé l’écouvillon dans les canons, huilé le mécanisme, passé l’antirouille dans les chambres, oui, toute la révision générale !... Mais non, je n’ai pas oublié une petite vis, je pourrais le remonter les yeux fermés !… 

 

‘Tain, pourtant, c’est un Verney-Carron !... Estampillé Saint Etienne !... C’est mon grand-père qui l’avait acheté avec ses économies. Année de fabrication : mille… mille… huit… cent… Le temps a dû effacer les numéros… »

 

« La dernière fois, c’est une poule faisane que tu as manqué sur le chemin du village ; la fois d’avant, c’était un garenne devant son terrier et, maintenant, tu loupes un quartanier immanquable dans un couloir de rochers !...

Mon vieux mari, c’est d’une bonne paire de lunettes dont tu aurais bien besoin !... Demain, on descendra à la ville et on te trouvera bien deux verres sur une monture pour les mettre devant tes yeux…

 

Allez, ferme la porte, mon chasseur bigleux !... Tu fais rentrer le froid... »

 

 

Pascal.

 

 

commentaires

M
Sûr ! il est plus heureux en forêt que près de sa compagne. Quoi que...
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J
Eh eh je suis d'accord avec son épouse, lol...
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A
Il rate le gibier, j'espère qu'il en est ainsi pour le reste , un accident est si vite arrivé
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J
Après le garenne il rate le solitaire..." elle" a raison il devient bigleux le chasseur poète !
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