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5 avril 2014 6 05 /04 /avril /2014 16:58

 

            Il y a bien des années, à la douane intraitable de la Santé, j’ai déclaré une polyarthrite rhumatoïde inflammatoire invalidante assez foudroyante. J’ai vite perdu l’usage de mes poignets, de mes chevilles, de mes facéties et de mon allant optimiste. Chacune de mes activités, qu’elles soient sportives, professionnelles ou familiales sont rapidement devenues des carcans pénibles à vivre au quotidien. J’étais de trop, impotent, fragile, encombrant, toujours dans les pieds ou complètement absent. Je n’entrais plus dans le monde des actifs et mon sort ne m’appartenait plus. Je passerai ici bien des détails désobligeants, de ceux, méchants, avilissants, castrateurs, caustiques, qu’on vous rabâche à longueur de temps dans les oreilles quand vous n’êtes même plus à la hauteur du quotidien.

La vie est un train emballé, nous en sommes les voyageurs incertains, et si les gares défilent, avec les prénoms des enfants, les enterrements des parents, les mariages des uns et les communions des autres, j’étais devenu un triste spectateur abandonné sur un quai sans partance.

J’avais été licencié, j’avais divorcé, j’avais quarante ans et j’avais perdu beaucoup d’illusions. Des traitements : Salasopyrine, Sels d’or, Arava, Méthotrexate, Acadione, cobaye résigné, j’en avais fait tout l’inventaire avec mon toubib spécialiste. J’avais des médicaments pour protéger l’estomac, d’autres pour dormir et d’autres, pour oublier de réfléchir.

 

De galère en contretemps, j’avais trouvé un modeste appartement en banlieue, ce genre de pied-à-terre de seconde zone où je recevais pourtant ma fille, tous les quinze jours, avec le zèle intact d’un papa aimant. Ma chaise roulante et moi, on se débrouillait pas trop mal. Pendant cette époque noire, je savais tout des programmes nocturnes de la télé, des degrés anesthésiants des bouteilles de pinard et de la fumée divinement voyageuse des clopes clandestines.

 

Grâce à une assistante sociale, dévouée et bienveillante, j’ai retrouvé du boulot ; un emploi adapté à mon handicap, bien sûr. C’était un travail de pupitres d’ordinateurs où j’aiguillais des index de compteurs pour en faire des factures à la conformité sans appel. Comme la roue tourne et que le progrès est toujours en marche, mon toubib m’avait prescrit un nouveau médicament révolutionnaire : l’Enbrel. Combiné avec le Méthotrexate, ses effets pouvaient ralentir, voire endiguer, cette pénible maladie. Aussi, deux fois par semaine, je me piquais le ventre avec ce produit miracle. J’allais mieux. J’ai même relégué ma chaise au rayon des mauvais souvenirs. Au boulot, j’avais pris du grade ; j’avais retrouvé de la confiance ; même ma fille, pendant ses visites bimensuelles, me trouvait changé.

 

Un jour, au bout de la rue, il s’est installé un magasin de culturisme ; c’était, je le croyais, ce genre de fabrique de muscles où l’on cultive son ego démesuré en le visionnant dans les glaces flatteuses. Quand je suis entré, pour la première fois, je fus accueilli avec quelques sourires moqueurs mais je rangeais vite mon orgueil au rang des novices.

Je fus pris en charge par le patron de la salle de sport. Conscient de mon infirmité, nous avons échafaudé mon programme dans une unique stratégie de bien-être. Sans jamais surmener mes articulations, chaque jour, je revins à l’appel de cette salle de musculation. Je devins assidu. Les autres pratiquants étaient devenus mes équipiers, mes amis, ma vraie famille. L’odeur de la sueur ambiante, les chansons des poulies d’accompagnement, les glaces, les barres, les bancs, les poids, les appareils alignés, c’était mon adrénaline quotidienne, c’était mon église avec tous ses instruments dévolus à ma seule piété.

Pendant les entraînements, je transpirais une forme d’euphorie musculaire, bien au-delà de mes moult excès de naguère. J’apprenais mon corps, ses limites, sa force et ses faiblesses. J’apprenais la diététique, j’apprenais à bien dormir, j’apprenais à soulever des altères, à me reposer ; ma culture devint physique, je retrouvais une vie saine, une philosophie hygiénique. J’apprenais enfin qu’avant d’aimer les autres, il fallait d’abord s’aimer soi-même. Je suis arrivé à me passer de mon traitement de fond. Adieu, Lexomil, Mopral Enbrel, Solupred !...

 

Petit à petit, ma physionomie a changé ; semaine après semaine, la glace me racontait mes progrès. Courageux, sans nulle vanité, j’étais devenu un adepte des abdos, un pro des dorsaux, un émule des pectoraux. J’effectuais toujours mes séries avec un zèle de métronome exalté et mon prof devait souvent me rappeler à l’ordre de ma maladie endormie. Pourtant, inéluctablement, je prenais ma revanche sur l’adversité ; avec mes muscles aiguisés, j’étais une grenouille bien plus forte que le bœuf le plus aguerri. Je progressais aussi dans ma vie professionnelle ; j’avais pris des responsabilités importantes au sein de mon entreprise. Je crois que c’est grâce à toute la confiance qui jaillissait de mon être.

 

Récemment, mon prof m’a inscrit au concours de culturisme inter-quartier. Il m’a soutenu que j’étais au top pour représenter son club, cette année.

 

Jour J. Voilà, je me suis enduit le corps avec cette crème bronzante qui fait de moi cette statue grecque en plein effort. C’est la première fois que je brille autant à un concours mais je ne dois penser à rien, ni à cette chaise roulante, ni à ces seringues d’Enbrel, ni aux réflexions blessantes du passé. J’enchaîne mes positions athlétiques, celles qui font saillir tous mes muscles bandés, à la vue du jury connaisseur. Ma fille est dans la salle, c’est la seule chose qui compte ;  j’ai le numéro soixante-trois ; j’espère qu’elle me reconnaîtra, j’espère qu’elle sera fière de son papa…

 

Pascal.  

commentaires

J
un autre point de vue fort intéressant ma foi
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L
Hola je ne t'imaginais pas comme cela ..; Qu'a cela ne tienne, Belette a raison de soulever le lièvre... On ne connait pas toujours les raisons de cet engagement. C'est un autre point de vue !<br /> avec le sourire
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B
J'adore ce texte, on y lit le contre pieds de tous les autres textes que je viens de lire sur le sujet. Pourquoi ça serait mal de vouloir prendre soin de son corps, de lutter contre la déchéance inexorable de son physique ? Est ce vraiment mieux d'accepter que ses muscles deviennent flasques ? Pourquoi juger en permanence ce qui n'est pas soi. Vous mesdames vous vous exclamez &quot;Mon dieu quelle horreur, ce corps bodybuildé, moi je préfère les tête bien faites&quot; Mais qui sait si ce gars est con ? c'est peut-être une intelligence supérieure, pourquoi musclé voudrait-il dire sans cervelle.<br /> Bravo Pascal, il est très bien ton texte, c’est une belle histoire qui raconte le combat d’un homme courageux .
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J
J'admire tout de même, surpasser la maladie et devenir cet Apollon...
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J
Quel traitement...de choc
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N
Un truc à remplir le trou de la secu...
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