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29 avril 2014 2 29 /04 /avril /2014 17:52

 

 

Le bus avait vomi ses touristes sur la place Jacques Coeur, haut lieu touristique de Bourges, et je fus tout de suite intrigué par le personnage accoudé à sa fenêtre d’Eternité. Sur une note monocorde, une guide affligeante, moustachue et soporifique balançait ses pléthores d’explications conventionnées aux badauds, plus occupés à se dégourdir les jambes qu’à suivre ses commentaires historiques.

 

Il m’impressionnait, ce quidam de premier étage ; il y avait dans son positionnement expectant, quelque chose de surréaliste, d’architectural ; sculpté dans cet attentisme extatique, il ajoutait encore à son voyeurisme séculier. De fait, je ne savais plus qui visitait l’autre…

 

Entre courants d’air et coups de vent, il a dû en voir descendre d’autocars, des estivants, devant sa belle maison, le Jacques Coeur. C’est qu’il a dû se faire photographier sous toutes les coutures, le brave homme. Figé dans le granit, il est comme une gargouille avenante, armé de sentiments humains, de la tiédeur estivale jusqu’à la froideur hivernale. Curieux, il doit savoir tout ce qui se passe devant son palais. Siècles faisant, de son balcon, il regarde défiler les révolutions, les saisons, les feux d’artifice de quatorze juillet, les processions, les récoltes, les maires, les famines, les révoltes, les guerres, les tours de France…

Ha, il a dû en voir passer, des bourgeoises, cheminant d’échoppe en échoppe, des ribaudes aux parfums exaltants, des colporteurs de tout poil, des vide-goussets si prestes pendant leurs manœuvres d’extorsion. Il a dû les compter les manants, les malandrins, les jacques, la main tendue, quémandant le moindre écu. Il a dû en voir mourir, des gibiers de potence, des écartelés d’inquisition, des pauvres erres de guillotine, des condamnés de peloton d’exécution ; il a dû les transpirer, ces horreurs… Sous sa poterne, il a dû en voir s’embrasser des amants à la lueur des lanternes ; il a dû sentir palpiter son cœur de pierre…

 

Soudain, un coup de vent souleva un nuage de poussière si près de cette statue attentive. Je crois que j’ai éternué plusieurs fois, que mes yeux se sont embrouillés et que mes oreilles se sont bouchées, un peu comme pendant une crise d’allergie que rien n’allège. Pourtant, je voyais tout, j’entendais tout, je sentais tout…

 

« Gwladys, Gwladys, ma fille !... Mais arrête de donner à manger aux pigeons !... Et ne dis pas que ce n’est pas toi, je t’ai vue !... C’est toi qui ramasses toutes les miettes sous l’étal du maître boulanger !... Oui, d’accord, mais ils me salopent tous les balcons !... Et regarde : je suis tout médaillé de leurs souillures !... Rapporte-moi plutôt la commande que j’ai faite auprès du maître gantier ! Tu passeras aussi chez l’herboriste, j’ai besoin d’une fiole d’onguent de bourgeons de peuplier pour soigner ces foutues douleurs rhumatismales !... Oswin !...  Oswin !... Mon fidèle valet, cours chez dame poissarde et ramène quelques truites du jour !... Prends aussi des bougies chez l’oribusier !... » 

 

Partout, ce n’était qu’effluves croustillants de viande tournée à la broche, odeurs de pierre mouillée, remugles de paille fraîche, parfums obsédants de bouquets champêtres, senteurs capiteuses de sueurs de bœufs et de chevaux…

Vêtus de riches soieries, quelques marchands tenaient conversation à grands rires d’enchères et de silences de réflexions savantes. Seuls, les plumets de leurs chapeaux onéreux semblaient s’amuser de leur commerce pendant leurs hochements intéressés.

Ici, un maître ferronnier ambulant frappait le métal sur son enclume sur une cadence de galère fanatique. C’était des gerbes d’étincelles qui s’échappaient de son marteau haletant et la ferraille rougie se contorsionnait de convulsions sous ses assauts répétés.

Là, c’était un cracheur de feu soufflant ses forges d’Enfer et les gens se reculaient, épouvantés par ses fourbes diableries ambulantes ; beaucoup s’enfuyaient en se signant désespérément. Des gosses misérables poursuivaient des poules caquetant d’inquiétude tandis que des paysans hirsutes et sauvages circulaient avec leurs immenses fagots de bois mort sur l’épaule. Un montreur d’ours piquait son animal pour l’obliger de se tenir debout au milieu de la foule. Dans l’ambiance du brouhaha, des vieilles édentées vendaient amulettes et potions en criant les mérites de leurs obscures décoctions.

Devant une baraque bariolée, aux foulards virevoltants et aux guirlandes décoratives, un couple d’acteurs mimait une pièce de théâtre d’un autre siècle sous les regards amusés des curieux. Des pages, aux armoiries de grandes maisons, couraient dans le marché en se bousculant avec des rires de liberté. Une procession de reliques saintes se balançait mollement dans la foule croyante au rythme de l’encensoir enfumé et des prières des moines l’accompagnant.

Des dames de belle élégance arpentaient la foire aux bras de leurs maris, tous de belle prestance. Une troupe de vieux soudards d’une armée éteinte bivouaquait autour d’un feu de camp et ses crépitements réguliers étaient autant d’éclats de voix réveillés à la lumière de leurs souvenirs exaltés. Quelques musiciens de viole, des damoiseaux sans cage, s’accordaient avec la rumeur festive et les défilements piétonniers. Accroupis en tas, des estropiés mendiaient quelques oboles aux passants fortunés en tendant leurs mains décharnées…

 

« Mais cette foire foisonne de gueux difformes !... Que mes gens leur jettent quelques pièces !... Vous, qui êtes-vous et que faites-vous sous ma fenêtre ?... Un espion ?... Un visiteur égaré ?... Quoi, la poussière ?... Hé bien, rendez-la moi et retournez vite dans votre monde ou j’appelle la garde !... Bon, c’est fête aujourd’hui !... Alors, elles commencent, ces joutes ?...  Faites donc sonner les cornes et les buccins !... »

 

Au loin, le klaxon du bus rappelait ses excursionnistes retardataires…

 

Pascal.  

commentaires

A
Merci de ce petit voyage dans le moyen-âge mais il nous faut revenir au temps présent
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J
Voilà qui fait apprécier le rhume des foins... ce n'est pas un texte c'est un film que je visionne.<br /> Du buccin au bus, retour à la réalité !
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B
Il ne manque que la musique, nous voici dans la 3 ème dimenssion !
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B
Houps désolée pour la faute de frappe , j'ai le doigt qui bégaye. :-)
J
Je respire la scène, je la visionne sur un écran géant...
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J
Merci au nuage de poussière.... ;) nous avons pris un coup de marche arrière !
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