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7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 21:44

 

Gustave Caillebotte : voilà bien quelqu’un à qui j’aurais aimé serrer la main…

 

Lui, le mécène éclairé, le peintre de talent à ses heures, il a mis à jour le grand pouvoir des impressionnistes au commun des admirateurs ; il les a encouragés tout au long de leurs œuvres sensationnelles. Supporter sans condition, glissant quelques billets dans la poche de l’un, achetant les toiles de l’autre, sans discussion, il a contribué à l’essor de ce mouvement pictural. Il a permis les ombres mouvantes, les déclinaisons solaires au rythme des coups de crayon exaltés, les carnations bucoliques, les opinions chamarrées, les enluminures vivaces, les nuances truculentes, les frondaisons visionnaires…

 

« Bonjour Monsieur Gustave ; si vous saviez tout le plaisir que j’ai de vous rencontrer. Pendant que je vous serre la main, une foultitude de sensations extraordinaires me traversent comme si vous me faisiez parvenir votre discours en ombres et en lumières. Le trouble m’envahit, je ne puis lâcher votre main tant l’émoi me tenaille.

Vous êtes le sésame de la génération des grands peintres impressionnistes. De ceux qui ne sont plus des géniteurs alambiqués de portraits rigides, d’auréolées bondieuseries et autres gravures de batailles anciennes, mais de ceux qui reproduisent les schémas enthousiastes, ourdis au seul tamis de leurs cœurs.

Ils mettent en peinture leurs trépidantes impressions. Quel plus beau feu d’artifice de couleurs ! Ils partagent, ils donnent ce qu’ils ont de meilleur au bout de leurs pinceaux, de leurs brosses et de leurs mélanges atypiques ; sur leurs toiles brûlantes, ils nous invitent au grand voyage…  

 

De petit spectateur admiratif, je suis littéralement aspiré dans la toile, ballotté, bousculé, emporté, entre les vagues des champs de coquelicots et les allants bercés des nuages baladeurs. Il faut sauter des deux pieds, éviter les pierres du gué et plonger dans leurs inspirations insatiables. S’ils ont les couleurs de notre ticket d’entrée, nous avons le relief de notre imagination pour nous promener dans leurs domaines réservés. A nous, la dérive spirituelle, l’engagement primesautier, la Liberté absolue.

Je suis à la fois maître et esclave du ressenti qui transpire de la toile. Je me surprends, abrité dans l’ombre d’un arbre légendaire, mais mes pensées curieuses caracolent au bout du champ, à l’orée d’une autre impression en suspens d’un prochain coup de vent ! Je croyais être un cerf-volant au milieu de tous ces paysages, je croyais être un promeneur un peu trop turbulent, je croyais être le garant de ces impressions picturales, mais je ne suis qu’un modeste voyeur, embarqué dans le tumulte des sensations pittoresques de l’éclairé géniteur de la toile.  

Comme elle m’a aspiré, emporté dans ses tourbillons de frénésie sensationnelle, elle me refoule dans la fade factualité du présent. Et je suis comme un coquillage inutile, une algue sans les frissons du courant, un ressac inharmonieux, rejeté sur la plage des modernités affligeantes, avec mon billet d’entrée du Musée d’Orsay chiffonnée dans la main.

Une toile d’impressionniste, c’est un fascinant flash de junky pour celui qui se lâche des deux mains dans la contemplation inconditionnelle de son paysage…

 

Hé, monsieur Gustave, je n’arrive pas à me séparer de votre main, tellement vous savez me subjuguer avec vos messages polychromes ! Je ressens si fort votre influence, ce trouble lancinant mêlé d’admiration, cette équivoque personnalité d’amphitryon. Vous avez su collecter la quintessence de leur Art ; aujourd’hui, ils nous offrent bien plus que des perspectives d’évasion. Ils sont les maîtres du Subjectif. On ne les acclame pas pour la qualité de leur œuvre, la précision de leur technique, la finesse de leurs traits de peinture mais pour cette intense sensation de Liberté qu’ils diffusent à travers leurs œuvres.  

Ils sont les musiciens des tournures ; ils ont inventé la poésie des couleurs, la vibration picturale, la véritable Harmonie Champêtre ; chacun de leurs troubles est un frisson incontrôlé dans le regard de ceux qui les admirent et vous, vous l’avez compris avant tout le monde. Au vers, ils nous suggèrent des déclinaisons de verts ; aux pieds, ils ont des intuitions de chevalets ; à la rime, ils nous envoient soupirer sur les enluminures de leurs cimes…  

 

Monsieur Gustave, vous le banquier de l’Impressionnisme, vous êtes l’Ami de ces poètes pittoresques, ces rêveurs aux incantations carnassières, ces fidèles aux messes bariolées et, mordu par leur insatiable inspiration, vous leur avez permis de s’exprimer sans l’ombre de la pénible disette financière. Aujourd’hui encore, ils nous ouvrent les portes de la vraie Sensibilité sans jamais nous faire succomber à la sensiblerie et, vous, vous avez remarqué tout cela avant tout le monde. Refusant le clinquant des courants de mode, l’habituelle publicité mensongère, les critiques avilissantes, les réflexions blessantes, vous avez accompagné ce courant pictural avec une grande clairvoyance. Vous êtes le témoin privilégié, l’apôtre distribuant leurs œuvres, mélange de géométrie enchanteresse et d’alchimie dans l’espace, comme la bonne parole. Si vous saviez comme je suis fier de vous adresser ici, mes tirades dithyrambiques ; à travers vous et grâce à vous, il me semble congratuler toute la confrérie des grands Impressionnistes… »

 

Gustave Caillebotte : voilà bien quelqu’un à qui j’aurais aimé serrer la main…

 

Pascal.

commentaires

J
un peintre que j'aime beaucoup et dont j'ai pu aller à loisir admirer les œuvres qui étaient exposées à Yerres où j'ai brièvement habité. Il mériterait d'être mieux connu. et c'est vrai que la fortune de sa famille lui a permis d'aider généreusement ses contemporains Bel hommage
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C
Oui, on sent l'admiration, un bel hommage en vérité...
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B
C'est sûr, on lui doit beaucoup et tu as su lui rendre hommage !
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V
Moi aussi mais il n'avait pas souvent les mains propres... c'est ça les peintres :)
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A
Tu n'es pas le seul à vouloir lui serrer la main , j'aurais bien aimé moi aussi. Très joli texte
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