Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 novembre 2015 6 07 /11 /novembre /2015 17:15

 

Sur la colline un banc, le temps de s'arrêter et de contempler...

 

Combien? Cinquante ans après, oui, environ...

 

Nous avions fait le détour parce que nous l'avions toujours voulu sans nous l'avouer et parce que cela devait être ainsi.

 

La colline surplombait les trois maisons s'épanouissant comme de grosses fleurs pâles au milieu des prés dans la vallée.
Celle des voisins, petite bicoque cernée de massifs de pensées devant la façade, ombragée d'une tonnelle de vigne dans la cour où les poules picoraient les restes de nos goûters: tartines grossièrement taillées dans un pain large recouvertes de confitures de melons. Au fil des naissances qui étaient nombreuse dans cette famille, on rajoutait vite des pièces à la maison qui prenait des formes biscornues, véritable défi à toute logique, scandale architecturale mais labyrinthe enchanté et point névralgique des parties de cache-cache pour nous les gosses.
La construction s'allongeait ainsi, serpentant cahin-caha en direction des plants de salades pour se terminer par la buanderie, haut lieu des ablutions de fin de semaine. Du plus petit au plus grand, ils s'y rendaient deux par deux, serviette éponge pliée sur le bras, l'un rinçant l'autre à tour de rôle à l'aide d'un broc d'eau chaude qui s'écoulait dans le tub. La vapeur s'échappait toute la matinée par un conduit de tôle de récup' fleurant la savonnette et le shampooing, mais seul Boulou, le petit dernier, avait droit à une goutte de "sent bon" sur sa tignasse bouclée. "Arrête, tu me prends tout le sent bon!" disait-il à la fois indigné et flatté, lorsque nous nous penchions pour humer le vague parfum de violettes qu'il dégageait.

 

A côté, la grande maison carrée aux volets rouges toujours semi fermés des G... entourée d'un grillage que nous ne franchissions jamais. Vivait là un petit garçon vêtu de shorts ou de pantalons de flanelle grise, le cou serré par une cravate bleu marine flottant sur une très règlementaire chemise blanche. Nous le voyions parfois le dimanche jouer au foot tout seul sur la pelouse de son jardin où l'on ne faisait rien pousser que du gazon, au grand dam du pépé de la bicoque pour qui la terre servait à" planter des patates et rien d'autres!" considérations généralement suivies d'une flopée d'injures patoisantes fort plaisantes. Nous n'avions pas le droit de lui parler et lui, feignait d'ignorer nos jeux bruyants. Comme il n'allait pas à l'école publique comme nous, nous en avions déduit qu'il était certainement suprêmement intelligent et riche, certainement encore plus que l'instituteur, d'où notre regard mêlé de respect et d'admiration, d'envie et de mépris.

 

Et puis enfin "la nôtre". Notre maison à nous. Grande, toute blanche, à cheval sur une carrière désaffectée qui donnait un curieux contraste entre le devant, ventru, et les lignes effilées de l'escalier extérieur montant à l'étage côté cour...
Et au-delà, le jardin.
Maman aux petites heures du matin, accroupie entre les rangs de haricots verts, la nuque perlée de sueur, toute brunie de soleil, pestant "contre ces gosses qui refusent de se lever à 5 heures pour aider" mais épanouie et souriante, heureuse de ce petit miracle: ma parisienne de mère découvrant la terre, récoltant ses légumes et ses fruits... Parterres de fraisiers que nous avions le droit d'arroser à la nuit tombée en pataugeant délicieusement dans la boue, rames de petits pois tendres et sucrés chapardés en surveillant la fenêtre de la cuisine, framboisiers pillés...
Les matinées étaient consacrées à l'équeutage des haricots, production phare du potager, qui remplissaient les placards une fois rangés dans les bocaux en prévision de l'hiver. "Ou d'une guerre", disait mon père. Les femmes s'installaient en rond sous un pin devant une montagne de haricots, tandis que les hommes prétextaient une foule d'occupations prévues et filaient en sifflotant, les mains dans les poches, un journal plié sous le bras.
Aux repas, on tirait les rallonges d'une impressionnante table en pin massif à laquelle on rajoutait souvent une ou deux tables de cuisine destinées aux enfants de la famille ou voisins. Tout était prévu en taille maxi, places quantités, tout était dans le partage. Tout était si simple, tout était si grand. Si rassurant.
Aurions-nous imaginé?
Tu te souviens? ....

 

Le banc était toujours là. Abimé. Ebréché, tagué de dessins malsains. Mais il était là, sur la colline.
Je ramassai quelques noix que l'automne avait détachées du vieil arbre sous lequel nous venions nous raconter nos chagrins et nos secrets de gosses ou cacher  nos escapades d'écoliers buissonniers.
"Tu en veux une?"

 

En bas, dans la vallée, le défilé ininterrompu des voitures emprunte la bretelle menant à l'autoroute, grand serpent sombre et fumant, pressé de filer vers le monde moderne. 

 

 

Almanito

Sur la colline un banc, le temps de s'arrêter et de contempler...

Combien? Cinquante ans après, oui, environ...

Nous avions fait le détour parce que nous l'avions toujours voulu sans nous l'avouer et parce que cela devait être ainsi.

La colline surplombait les trois maisons s'épanouissant comme de grosses fleurs pâles au milieu des prés dans la vallée.
Celle des voisins, petite bicoque cernée de massifs de pensées devant la façade, ombragée d'une tonnelle de vigne dans la cour où les poules picoraient les restes de nos goûters: tartines grossièrement taillées dans un pain large recouvertes de confitures de melons. Au fil des naissances qui étaient nombreuse dans cette famille, on rajoutait vite des pièces à la maison qui prenait des formes biscornues, véritable défi à toute logique, scandale architecturale mais labyrinthe enchanté et point névralgique des parties de cache-cache pour nous les gosses.
La construction s'allongeait ainsi, serpentant cahin-caha en direction des plants de salades pour se terminer par la buanderie, haut lieu des ablutions de fin de semaine. Du plus petit au plus grand, ils s'y rendaient deux par deux, serviette éponge pliée sur le bras, l'un rinçant l'autre à tour de rôle à l'aide d'un broc d'eau chaude qui s'écoulait dans le tub. La vapeur s'échappait toute la matinée par un conduit de tôle de récup' fleurant la savonnette et le shampooing, mais seul Boulou, le petit dernier, avait droit à une goutte de "sent bon" sur sa tignasse bouclée. "Arrête, tu me prends tout le sent bon!" disait-il à la fois indigné et flatté, lorsque nous nous penchions pour humer le vague parfum de violettes qu'il dégageait.

A côté, la grande maison carrée aux volets rouges toujours semi fermés des G... entourée d'un grillage que nous ne franchissions jamais. Vivait là un petit garçon vêtu de shorts ou de pantalons de flanelle grise, le cou serré par une cravate bleu marine flottant sur une très règlementaire chemise blanche. Nous le voyions parfois le dimanche jouer au foot tout seul sur la pelouse de son jardin où l'on ne faisait rien pousser que du gazon, au grand dam du pépé de la bicoque pour qui la terre servait à" planter des patates et rien d'autres!" considérations généralement suivies d'une flopée d'injures patoisantes fort plaisantes. Nous n'avions pas le droit de lui parler et lui, feignait d'ignorer nos jeux bruyants. Comme il n'allait pas à l'école publique comme nous, nous en avions déduit qu'il était certainement suprêmement intelligent et riche, certainement encore plus que l'instituteur, d'où notre regard mêlé de respect et d'admiration, d'envie et de mépris.

Et puis enfin "la nôtre". Notre maison à nous. Grande, toute blanche, à cheval sur une carrière désaffectée qui donnait un curieux contraste entre le devant, ventru, et les lignes effilées de l'escalier extérieur montant à l'étage côté cour...
Et au-delà, le jardin.
Maman aux petites heures du matin, accroupie entre les rangs de haricots verts, la nuque perlée de sueur, toute brunie de soleil, pestant "contre ces gosses qui refusent de se lever à 5 heures pour aider" mais épanouie et souriante, heureuse de ce petit miracle: ma parisienne de mère découvrant la terre, récoltant ses légumes et ses fruits... Parterres de fraisiers que nous avions le droit d'arroser à la nuit tombée en pataugeant délicieusement dans la boue, rames de petits pois tendres et sucrés chapardés en surveillant la fenêtre de la cuisine, framboisiers pillés...
Les matinées étaient consacrées à l'équeutage des haricots, production phare du potager, qui remplissaient les placards une fois rangés dans les bocaux en prévision de l'hiver. "Ou d'une guerre", disait mon père. Les femmes s'installaient en rond sous un pin devant une montagne de haricots, tandis que les hommes prétextaient une foule d'occupations prévues et filaient en sifflotant, les mains dans les poches, un journal plié sous le bras.
Aux repas, on tirait les rallonges d'une impressionnante table en pin massif à laquelle on rajoutait souvent une ou deux tables de cuisine destinées aux enfants de la famille ou voisins. Tout était prévu en taille maxi, places quantités, tout était dans le partage. Tout était si simple, tout était si grand. Si rassurant.
Aurions-nous imaginé?
Tu te souviens? ....

Le banc était toujours là. Abimé. Ebréché, tagué de dessins malsains. Mais il était là, sur la colline.
Je ramassai quelques noix que l'automne avait détachées du vieil arbre sous lequel nous venions nous raconter nos chagrins et nos secrets de gosses ou cacher  nos escapades d'écoliers buissonniers.
"Tu en veux une?"

En bas, dans la vallée, le défilé ininterrompu des voitures emprunte la bretelle menant à l'autoroute, grand serpent sombre et fumant, pressé de filer vers le monde moderne.

 

 

Almanito

Retour.   Almanito

sujet semaine 46/2015 - ​clic

commentaires

E
formidable évocation de l'enfance et la vie d'autrefois, j'ai entendu Giono dans ta belle histoire "jamais assez de ce sel, ma mère, jamais assez de ce pain"...
Répondre
A
Merci pour ce beau commentaire, Emma
G
"Tu te souviens ?" Quand a-t-on prononcé cette phrase pour la première fois ? Cela, on l'a oublié, mais ce jour-là, l'enfance s'éloignait définitivement de nous.
Répondre
A
Très juste!
J
ah les récoltes trop abondantes de haricots ! combien d'enfants savent encore ce que sont des haricots verts fraîchement cueillis ... de bien jolis mots pour revisiter des souvenirs d'enfance
Répondre
A
Peu, vu le prix au kg, ils sont devenus des produits de luxe...
V
Le banc sur la colline est le meilleur endroit pour relativiser et se souvenir (de l'équeutage des haricots en tre autres) ... très beau texte, Almanito
Répondre
A
On voit toujours mieux de haut :) Merci Vegas
P
"Tout était si simple, tout était si grand", j'aime beaucoup ce passé flamboyant aux mille parfums d'enfance. Merci pour ces belles confidences.
Répondre
A
Les coeurs des gens l'étaient, simples et grands...
M
Comme il fait bon retourner un instant dans les moments privilégiés de l'enfance.<br /> Je me retrouve ci et là dans ton récit qui me fait chaud au coeur. Merci Almanito !
Répondre
A
Ce que nous aimons retrouver dans ce genre de récit, c'est le temps de l'insouciance propre à l'enfance je crois. Merci Mony
A
Beaucoup de nostalgie dans ce texte, je me revois équeuter les haricots, c'est loin et en même temps c'était hier
Répondre
A
J'ai réussi à échapper à la cueillette et à l'équeutage, mais j'encourageais en regardant:)
C
De jolis souvenirs et un petit concentré de lutte des classes résumé en trois maisons. Quand je dis lutte, c'est plutôt ici contraste, quoi que le pépé a beaucoup de choses à dire là dessus :-) Et les étés où on mange des haricots verts à tous les repas, j'ai connu aussi... :-) Ton récit est savoureux de tendresse et de nostalgie...
Répondre
A
C'est presque incontournable chez moi, ces "contrastes" et le pépé d'à côté, il y aurait sûrement de quoi faire un livre de tout ce qu'il pensait! Dire qu'on râlait d'avoir des haricots frais dans nos assiettes...

  • : Mil et une, atelier d'écriture en ligne
  • : atelier d'écriture en ligne
  • Contact

Recherche

Pour envoyer les textes

Les textes, avec titre et signature, sont à envoyer à notre adresse mail les40voleurs(at)laposte.net
 

Infos