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2 octobre 2016 7 02 /10 /octobre /2016 07:53
L'escapade.   Mony

sujet semaine 40/2016 - clic

 

Ce fut d'abord une pierre qui tomba à un mètre de son pied. Dans un geste machinal il l’expédia du bout de sa chaussure vers le bord du talus. Puis ce furent successivement des aboiements et un hennissement qui le sortirent de la torpeur dans laquelle l’avaient finalement plongé plusieurs heures de marche. Les bêtes avaient senti son approche et la signalaient. Sans cesser d’avancer, Julien passa une main dans ses mèches brunes, redressa les épaules et réajusta son gros sac à dos. Les aboiements étaient proches à présent, pas menaçants, simplement curieux voire impatients. Dans un enclos attenant à une maison basse un cheval à la belle robe isabelle le salua de nouveaux hennissements rythmés par le battement de sa longue queue. Peu farouche, il s’approcha de la clôture en bois et vint quémander une caresse.

 

Le chien s’était tu. Julien le vit apparaître au coin de la maison en compagnie d’un homme à l’âge incertain.

 

Je vous attendais, dit celui-ci.

Devant l’expression étonnée de Julien, il poursuivit :

- Je vous observe depuis un moment. La montée est rude, pas vrai ? 

Le jeune homme acquiesça d’un signe de tête.

- Entrez, je vous ai préparé du café. 

 

Sans se faire prier Julien, heureux de faire une pause, se débarrassa de son barda qu’il laissa sur le seuil et il pénétra dans une salle éclairée par deux  fenêtres à meneaux.

- C’est pas souvent que j’ai de la visite. 

Le café fumant dans un bol et les deux tranches de pain d’épices présentées à même le bois blond de la table eurent tôt fait de réconforter le marcheur.

 

------------

 

- Ainsi vous allez à Xhévoumont ! Vous en avez encore pour une heure de marche, constata l’homme. Julien regarda sa montre, il était temps pour lui de reprendre la route. Il se leva et remercia son hôte pour son accueil. Autour d’eux le chien allait et venait en jappant, décidé à retenir le marcheur dans la maison.

 

- Maloub semble vous avoir adopté, dit encore l’homme. Julien sourit, les animaux et lui c’était une grande histoire d’amour. Déjà il empoignait son bagage quand l’homme lança : - Je m’appelle Maurice. Si tu le veux, tu peux installer ta tente par là-bas et y passer la nuit. Dans la remise il y a un évier. Un peu d’eau froide ça ne devrait pas t’effrayer ?

Julien semblait si jeune que le tutoiement avait surgi naturellement de la bouche de Maurice. La fatigue, le bel environnement, la sympathie et la simplicité manifestes de Maurice décidèrent rapidement Julien à accepter son offre. Il se sentait libre comme l’air, aucune contrainte ne le forçait à se rendre à Xhévoumont, la seule raison de son escapade était de se retrouver au grand air, et sur ce plateau il y était roi. La tente fut rapidement dressée et tandis que Maurice soignait son cheval et faisait rentrer ses quatre poules dans le petit poulailler le soleil lentement déclina dans le ciel d’été.

 

------------

 

Couché à plat ventre sous la tente, la tête et les épaules à l’extérieur, Julien écouta le faux calme de la nuit. Le cri aigu des chauves-souris ou celui d’un oiseau attardé, un hululement, le cheval s’ébrouant ou encore un craquement de branche firent glisser en lui une quiétude perdue depuis plusieurs mois. Il pensa à l’accueil de Maurice, à leur longue conversation assis tous deux sur le banc extérieur de la maison. Quelle chance avait cet homme de vivre dans un tel endroit !

 

Julien se retourna sur le dos et le ciel s’offrit à lui en cadeau. En ancien scout il repéra aisément Orion puis la Grande Ourse dans l’espace infini parsemé de mille étoiles. Nulle clarté parasite ne rivalisait avec elles, la nuit leur appartenait. Pourtant, à bien y regarder, une petite lumière clignotante signalait le passage de l’humain dans les cieux. Têtu et obstiné, un avion de ligne, là-haut, traçait dare-dare sa route. Julien songea à Emma et une bouffée de désir le saisit. Emma ! Où était-elle ? En Grèce, en Turquie ou ailleurs au gré des offres de voyages de dernières minutes ? Pourquoi n’avait-il pas voulu la suivre sur une quelconque plage, dans un quelconque hôtel bondé de touristes ? Pourquoi un tel fossé s’était-il creusé entre eux deux au fil des semaines ?

 

Troublé, Julien soupira. Jamais Emma n’aurait accepté de dormir ainsi sous une tente. Pour elle, la nature ne se concevait que disciplinée et confortable. Le jeune homme l’imagina au bord d’une piscine bleue, bronzée déjà par des séances de solarium. Parfaite ! Julien soupira à nouveau. Non, il n’avait pas travaillé pendant tout le mois de juillet pour se payer, comme elle, des vacances au soleil. Son but était autre. Cet argent lui sera nécessaire durant la prochaine année universitaire afin de compléter le peu d’argent de poche que ses parents avaient la possibilité de lui octroyer. Un coup d’œil à l’écran de son GSM lui donna l’heure : 23.30. Il était temps de dormir à présent. Julien pensa encore à la batterie bientôt déchargée. Bof ! Pas indispensable ! Puis il fourra son portable au fond d’une poche du sac à dos et il referma la toile de tente, heureux.

 

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Maloub, la truffe fureteuse, réveilla Julien de bonne heure. Longuement le jeune homme caressa le poil soyeux du chien tout en le cajolant de la voix : - Doux Maloub, doux mon chien, et, complices, ils ne se quittèrent plus de tout le jour. Comme proposé la veille par Maurice, ils attelèrent le cheval à une charrette légère et ils rejoignirent le sous-bois. Julien, heureux comme un enfant, guida Mira avec aisance sur les chemins forestiers. Quand ils furent arrivés à destination, il observa avec prudence et intérêt les quatre ruches dressées côte à côte au centre d’une vaste clairière. Maurice enfila alors une combinaison claire, une coiffe munie d’un voile métallique et une paire de gants puis il prépara l’enfumoir. Avec des gestes lents mais précis il enfuma une première ruche et en retira le couvercle. Méfiants, Julien et Maloub se tinrent à l’écart mais ils suivirent attentivement tout le travail de récolte des cadres garnis de miel. Le temps était beau et seuls des bourdonnements d’abeilles ou le bruit léger de l’enfumoir troublaient le silence. De temps à autres, l’apiculteur amateur levait un pouce, la récolte s’annonçait bonne.

 

De retour à la maison, il fallut désoperculer les cadres avec un couteau en évitant les quelques abeilles accrochées à leur production. Julien, intéressé par tout ce qu’il découvrait mit la main à la pâte. L’opération se déroula dans la remise où se trouvait l’extracteur de miel qui accueillit ensuite les supports. Au soir, réunis dans la salle, ils partagèrent une omelette baveuse puis Julien fit la vaisselle tandis que Maurice veillait au bien-être de ses animaux. A la nuit noire, Maurice décrocha du mur une vieille trompette et pour le plaisir de Julien il improvisa un concert unique. Le jeune homme vécut ainsi auprès de Maurice deux journées de travail hors du temps. Ce fut à peine si ses pensées allèrent quelques fois vers ses parents ou vers Emma là-bas, si loin.

 

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Ce fut d’abord un aboiement suivit d’un hennissement, tous deux répercutés par les talus rocheux… Julien leva la tête. Là-haut, au bord du plateau, il aperçut Maurice puis il entendit le son de sa trompette. Une dernière fois, à sa manière, son nouvel ami le saluait. Julien leva la main, fit un grand signe. Ses doigts s’égarèrent ensuite dans ses cheveux et d’un geste machinal réajustèrent le sac à dos. Dans quelques jours, il aurait rejoint la faculté d’agronomie. Et son futur, avec ou sans Emma, Julien était bien décidé à y mordre à pleines dents.

 

 

Mony

commentaires

L
le paysage et les personnages se dessinent sous nos yeux
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M
Voila de bien beaux personnages que Julien a eu la chance de rencontrer.
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L
j'aime: "Le café fumant dans un bol et les deux tranches de pain d’épices présentées à même le bois blond de la table eurent tôt fait de réconforter le marcheur."
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J
Hors des sentiers battus on fait de belles rencontrent aussi qui conforte parfois une idée de départ... ;-)
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J
Mony, l'escapade dans tes mots est un régal, merci pour ce beau récit.<br /> deux personnages fort attachants , une campagne paisible<br /> Maurice a donné à Julien un bien beau cours "d'agronomie"...Julien conforté dans sa voie est paré pour ses cours à la rentrée!
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A
Quelle belle histoire Mony! Le jeune homme et Maurice sont de beaux personnages, très attachants. Comment ne pas imaginer que ces deux-là se rencontreront à nouveau, quand le jeune aura fait son choix entre deux univers....J'ai aimé la lumière pure qui se dégage de ton texte, merci.
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C
Tu as vraiment l'âme d'une romancière Mony. C'est magnifiquement mis en mots, avec tellement d'e détails , de belles images , de style,!?Une bien belle escapade que celle là! Chloé
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