sujet 37/2018 - clic
Le bruit caractéristique du chariot de Joël me réveille, crac push, crac push… il y a quelque chose qui frotte sur une roue, c'est irritant, que n'est-il capable d'y remédier ?
Nous sommes donc samedi.
Et chaque fois je me demande pourquoi ce type apparemment vigoureux vient chaque semaine pousser son chariot de livres dans les couloirs des palliatifs, alors qu'il y a dans les forêts tant de sentiers qui sentent le champignon ! Pourquoi se punit-il ainsi ? a-t-il quelque chose à expier ?
Je lui rends la petite Fadette, je sais que la 228, Madame Robert, l'a retenu. Elle l'a lu à ses élèves en 62, paraît-il.
Et je prends Anna Karénine.
Il a des bouquins modernes aussi, Joël, des Musso, des Levi, mais il paraît que ce sont les vieux romans qui marchent le mieux, ici, avec la revue maisons et jardins.
Moi, les livres c'est pas vraiment pour lire, je crois bien que je les connais tous, les livres de Joël, je les révise par imbibition.
Cette semaine je serai plutôt Karénine que Vronski, je n'ai jamais été flambeur, ils me fatiguent un peu ces gens-là, à courir après leur perte. Ou personne de précis, un passant, l'air du temps… qu'importe, je ne me souviens déjà plus de mon enfance, je suis à seize mille lieues du lieu de ma naissance, je suis à Moscou, dans la ville des mille et trois Clochers et des sept gares…
Je prends le transsibérien.
La femme est montée à Novossibirsk. Elle va à Irkoutsk, d'après ce que je vois sur les étiquettes de ses valises en cuir fatigué.
Elle a les yeux noirs, brillants, étirés vers les tempes, un regard de chat sous la chapka de fourrure blanche. Elle s'en débarrasse, ainsi que de sa lourde pelisse, et des tresses noires et brillantes, comme cirées, coulent sur ses épaules. Une bouffée de violette arrive jusqu'à moi. Sa taille si fine tiendrait dans mes deux mains.
Deux jours de steppe et de bouleaux avec Anna Karénine…
Nous ne parlons pas, je contemple son reflet dans la vitre, je le peins du bout des doigts sur la couverture fatiguée du vieux bouquin, une balalaïka pleure l'âme slave au bout du wagon…
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La semaine prochaine je reprendrai "Tom Sawyer", que Papa m'a lu quand j'étais tout petit. Je me languis du Mississipi.
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