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31 mai 2019 5 31 /05 /mai /2019 06:29

sujet 21/2019 - clic

Cesare adore ces moments.

 

Oh il en y a bien d'autres, de bons moments dans son jardin avec Paola, autour de sa maison, ou au bar de la piazza Sant'Anna où il rencontre chaque semaine ses vieux amis Alberto, Giuseppe et Manfredi, pour taper la carte tout au long de la soirée en évoquant sans cesse leurs exploits passés.

Mais les moments comme celui-ci sont exceptionnels. Une fois par an seulement, son fils Ugo, sa femme Caroline et leur fils Léo les rejoignent, Paola et lui, pour passer une semaine ou deux de vacances dans la maison familiale. Oh il faut toujours quelques jours pour atterrir vraiment. Les premiers jours, Paola accapare son fils et le bombarde de questions sur sa maison de Strasbourg, sur le travail qui monopolise tout son temps, au point qu'il téléphone si peu. Caroline et Léo ne maîtrisant pas l'italien, Paola parle surtout avec Ugo. Elle rattrape tout le retard accumulé, le questionne sur Léo et sa scolarité, sur leurs amis, sur leur vie là-bas si loin. Puis enfin, quand sa curiosité de mère est assouvie, Paola laisse un peu respirer Ugo, et il commence à reprendre ses marques, ses repères, ses réflexes... ses racines.

Un père est rarement aussi démonstratif qu'une mère, Cesare n'y déroge pas. Les premiers jours, par pudeur, ou simplement pour laisser un peu d'espace à Ugo, il ne dit pas grand chose, il épie son fils de l'autre bout de la table, compte ses quelques premiers cheveux blancs, observe s'il a conservé ses gestes d'avant, ses gestes de grand enfant. Il pratique un peu le français avec Caroline et Léo, qui, cette année, font de gros efforts pour essayer de répondre en italien, pour son plus grand plaisir.

Puis, vers le soir du troisième jour, quand les valises sont vidées, tout le monde installé,  les lieux emblématiques revisités en guise de petit pèlerinage annuel, quand Paola est rassasiée des histoires racontées, tout ce petit monde se pose enfin autour de la table sous le figuier dans le jardin. Et arrive ce moment, à la fin du repas. Quand Léo s'éloigne un peu pour jouer, quand l'air est doux et l'humeur joyeuse, quand Cesare entame la deuxième bouteille et ressert son fils, sous le regard des femmes de la famille, il sait.

Il sait qu'il reste quelques jours ou son fils et lui vont entretenir le lien. L'air de rien. Quelques minutes de promenade, à la dérobée. L'excuse d'un volet ou une autre bricole à retaper « entre hommes ». Avec peu de mots, parfois sans. Tout dans le regard. Dans les gestes. Dans cette habitude qu'Ugo a prise il y a longtemps, quand Cesare se relève en plein travail, d'être là à lui tendre l'outil qui convient.

Il sait que Ugo aussi apprécie ces moments. Qu'il retisse les radicelles qui lui permettront de se nourrir du substrat natal. Avec ses parents, avec sa terre. Qu'il repartira chargé de cette énergie qui fait qu'il n'aura pas à téléphoner pour les six prochains mois, malgré les promesses arrachées par sa mère. Cesare sait que lui aussi, dans les semaines et les mois à venir, se retrouvera en arrêt, méditatif, devant une chaise vide où il reconstruira les traits d'Ugo. Ugo à dix ans attablé avec ses devoirs, Ugo à vingt ans leur présentant Caroline à son retour de l'université, Ugo d'aujourd'hui, de cet instant gravé. Et devant cette chimère, le regard dans le vide, il essaiera de deviner quels seront les traits d'Ugo qui auront changé l'année prochaine.

Alors il profite. Il s'imprègne lui aussi de son fils car l'instant ne durera pas.

 

Cesare adore ces moments.

 


Koda

commentaires

A
vive la famille, pardon: la famiglia :-)<br /> et vive l'Europe sans frontières ;-)
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F
Une histoire émouvante, pleine de pudeur aussi...
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M
Bon jour, <br /> Une relation père/fils extrêmement liée mine de rien ...
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V
Derrière la rudesse campagnarde, on sent la profondeur des sentiments.<br /> L'histoire est bien contée, Koda
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A
Ainsi coule lentement la vie.
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M
Bravo pour cet instantané en touches délicates qui disent tout le déchirement de l'éloignement mais aussi la joie immense des retrouvailles.
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L
Je suis vraiment conquis par cette belle peinture de moments précieux, dont l'importance et la valeur sont si bien mis en valeur. Merci, Koda.
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L
Comme il est émouvant ce Cesare !
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