La couverture rouge est rejetée au pied du lit et Jimmy se lève. Le vieux plancher de chêne gémit sous son poids tandis qu’il se
dirige vers la fenêtre. Il a dormi profondément, d’un sommeil réparateur comme il n’en a plus connu depuis des semaines. Sans entrouvrir d’avantage la fenêtre, ni pousser les persiennes, il hume
avec délice l’air frais du matin. Hier soir, il a eu le privilège de prendre un bain délicieusement chaud dans une grande cuve installée dans la cuisine de la femme qui l’héberge. Il a goûté à ce
luxe jusqu’à ce que l’eau devenue froide le fasse frissonner. Alors seulement, Jimmy a extrait son grand corps musclé de la bassine et, vigoureusement, s’est séché. La femme lui a ensuite coupé
les cheveux au plus court et un homme, entré sans mot dire, l’a pris en photo.
Un regard jeté dans le miroir suspendu à la gauche de la fenêtre lui renvoie cette nouvelle apparence à laquelle il devra
s’habituer.
Ils ne se sont pas beaucoup parlé, la femme et lui, mais au moment de partager le dîner, ils ont tenté de passer outre la barrière de
la langue et par gestes ou expressions se sont fait quelques confidences. Marie ! Jimmy ! Deux mains et cinq doigts pour elle, deux mains et huit doigts pour lui. Pas d’alliance
pour elle, un anneau d’or à l’auriculaire gauche pour lui. Two kids. Marie a souri. Thank you very much ! Marie a simplement hoché la tête et a tenté de faire comprendre que son
compagnon était prisonnier, loin, en Germany.
Deux petits coups frappés à la porte suivis en réponse d’un yes franc et Marie pénètre dans la chambre avec à la main une
cruche remplie d’eau tiède qu’elle déverse dans le petit bassin en faïence posé sur la table. Il est temps pour Jimmy de se rafraîchir et de se raser. En se retournant pour quitter la chambre,
Marie se cogne au buste de Jimmy. C’est survenu tout naturellement et sans préméditation, au point que Jimmy l’enserre entre ses bras et qu’elle, en gémissant, frotte sa joue contre celle râpeuse
de l’aviateur anglais. Le lit bientôt les accueille et leur deux corps avec fougue s’entremêlent. Ils veulent croire en la vie, à cette vie si malmenée en ces temps troublés. Ils ne savent, ni
l’un, ni l’autre de quoi demain sera fait. Parviendra-t-il à rejoindre l’Angleterre via l’Espagne ? Et elle, ne sera-t-elle pas inquiétée ou trahie pour sa participation à la résistance contre
l’ennemi ?
Leur brusque et inattendu désir assouvi, ils restent encore un moment lovés l’un contre l’autre. C’est Marie qui reprend le plus
rapidement pied dans la réalité. Elle indique le cadran de sa montre et dit - Marcel va venir te chercher avec ton nouveau passeport. Jimmy d’un bond est hors du lit et Marie,
dans un dernier regard vers lui, referme doucement la porte.
- Coupez ! lance le réalisateur d'un ton satisfait.
Sur le plateau, il n’y a pas une minute à perdre. Les décors de la chambre et de la cuisine sont démontés pour faire place à la
production suivante.
Demain, les acteurs tourneront les dernières scènes en plein air. Pour l'heure, ils se démaquillent dans leur loge respective tout en
envoyant un texto pour l’un et en écoutant les infos sur ce monde en folie pour l’autre.
Mony