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17 octobre 2011 1 17 /10 /octobre /2011 12:17

 

Dans les cuisines de la belle demeure c’est l’effervescence,  Maître Sidoine s’y active et lance des ordres aux marmitons. Du fourneau au tournebroche et de la cave au fournil s’échappent odeurs alléchantes et fumets délicats.

Pour Dame Zèbrine et ses quatre convives le dîner se veut festin car ce soir, la maitresse de maison désignera son futur époux parmi le quatuor présent.

Le sien, trop vieil, trop délicat, l’a laissée veuve une nuit d’indigestion.

Il n’est plus question pour elle de revivre pareille situation. Le futur mari se devra d’être robuste et fine gueule. Aussi l’élu sera-t-il le dernier gentilhomme attablé et réclamant encore un hanap bien rempli  ou une assiettée de mignardises.

 

Marcassin ruisselant de saindoux, faisans saucés au verjus suivis de pâtés de grives à l’Armagnac et de tourtes aux abats sont tour à tour présentés accompagnés de panais à la cardamone et de mogette aux graines de paradis. Dans les gobelets d’étain, vin et cervoise fraîche coulent à volonté.

Dame Zèbrine peu attirée par les mets salés picore dans un plat puis dans un autre, déchire d’une dent délicate un minuscule morceau de viande, mouille ses lèvres fines de trois gouttes d’hydromel et observe ses prétendants.

Guillibert, la face rubiconde ne tarde pas à implorer la permission de se retirer. D’un geste condescendant de la main, Dame Zèbrine lui signifie son renvoi tandis que la table se garnit de plats de brochets aux deux sauces vertes, d’anguilles au macis et de lamproies aux yeux glauques, le tout accompagné d’une belle choucroute croquante.

A la troisième bouchée de lamproie, Sieur Giefroi pâle comme une hostie se lève de table et s’enfuit les mains sur la bouche.

 

Dame Zèbrine soupire « quelle petite nature ! » Elle se tourne ensuite vers les rescapés des agapes, Ramulf et Artaud, tous deux bels hommes à la fière prestance. Lequel sera l’élu ce tantôt ?

Les rivaux se toisent quand Dame Zébrine les prie de l’excuser un instant «…quelques ordres à donner… je ne serai pas longue… servez-vous mes Sieurs »

 

- Où en sommes-nous, Maître Sidoine ? Le temps me tarde ! »

- Au dessert, gente Dame. Voyez, Gasparini, le pâtissier, termine de si belle façon la garniture de l’assortiment de tartelettes !

Les pommettes en feu, Dame Zèbrine ouvre grands ses yeux et hume, gourmande, les délices sucrés, son péché mignon.

- Vite, vite, Gasparini, la faim me taraude et seule la douceur de vos desserts pourra l’apaiser.

 

Le regard des deux derniers invités est à présent voilé par l’alcool et les gestes se font plus lestes à l’encontre des serveuses.

- Mes Sieurs, un peu de tenue, je vous prie. L’un de vous sera sous peu mon époux et le garant de ma fortune. Les minauderies ne sont pas de mises à cette tablée. Voici à présent le plateau de desserts. Il est fort à parier qu’il vous départagera. Bonne dégustation !

Penauds, les deux hommes choisissent l’un un sablé coloré au jus de betteraves et garni de framboises et l’autre une croûte verte obtenue avec quelques gouttes d’écume d’épinard et ornée de myrtilles mais l’appétit n’est plus au rendez-vous et ils découpent lentement, comme à regret, leurs tartelettes.

Dame Zèbrine quant à elle se fait servir une pâtisserie aux marrons sur lit de crème d’or. Ses gestes sont vifs, les bouchées énormes. Que c’est bon !

- Allons, mes Sieurs, du cœur à la bel ouvrage !

Et elle replonge son long cou de cygne vers son assiette, avide, le regard déjà posé sur une tartelette aux raisins blancs imbibés d’ambroisie.

 

Hélas, un marron trop peu cuit et avalé goulûment en dispose autrement.

Dame Zèbrine a beau tousser, tenter de cracher, elle s’étouffe définitivement et gît là, inerte, au bas du banc.

 

- Nous l’avons échappé belle, dit un galant.

- Pour fêter cela allons boire une pinte loin d’ici, propose l’autre.

Seuls Maître Sidoine, Gasparini et les marmitons se lamentent.

Pour qui cuisineront-ils demain ?

 

Mony

commentaires

A
<br /> <br /> Oh ! que les marmitons ne s'inquiètent pas trop ! Dame Girafine, la cousine de Zébrine est fort gourmande elle aussi et veuve depuis peu ... Elle ne tardera pas à faire son apparition !<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Une délectation de lecture et... mourir pour un pêché mignon - il fallait y penser! :-)<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Au milieu de ce festival d'ingrédients aux prénoms magiques<br /> je ne m'attendais pas à ce que pique<br /> une tête sous la table à en mourir<br /> la dame de pensées en soupirs<br /> Mais quelle fin remarquable<br /> tu as su donner à cette culinaire fable ;o)))<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> un bien beau conte, Mony, écrit avec une délectation qui m'a rappelé le festin de Babette- une ambiance du tonnerre et de forts personnages. Mais la punition est bien cruelle pour la dame quand<br /> même !<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Décidément, ces agapes médiévales sont bien appétissantes, enfin, certaines, car c'est surtout du plomb sur l'estomac, pauvre dame Zébrine, finir d'une si triste manière, mais elle aura profité<br /> juqu'au bout des plaisirs de la vie... et de la table. Un texte dépaysant , plein d'humour et très réussi. Bises. cloclo<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Une "Grande Bouffe" poétique, il fallait y penser... Audace réussie de mots choisis !<br /> <br /> <br /> Valdy<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Heureusement que je ne mange  pas les mets  de ton texte, c'est dix kilos sur le ventre et les hanches . <br /> Bravo pour ce menu  Mony, je me suis régalée<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Il était temps pour moi aussi! L'indigestion de bons mots me guettait. Quel festin...<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Joye, LA chef te remercie de ton bel enthousiasme.<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Didon, Mony, tes mots sont somptueux !!!  Franchement, c'est savoureux dans la bouche ! Et bien sûr que j'adore quand la forme d'un texte sert à souligner sa forme. Très très bien réalisé,<br /> mes compliments au (à la) chef ! Bravo !!<br /> <br /> <br /> <br />
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