Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 20:20


Enfin veux-tu bien lâcher ce cahier que tu lis depuis que tu es rentré. Le repas est prêt et d'ailleurs, d'où vient-il ce cahier ? Je ne t'avais jamais vu avec auparavant ?
Je l'ai trouvé en faisant ma promenade quotidienne, il était là sur mon banc habituel, tu sais celui qui se trouve près de la petite fontaine.
Dans le parc Gorki ? demanda la femme.
Oui, je ne vais plus que là, mes vieilles jambes ne me portant plus avec assez de forces pour me risquer à aller plus loin. Mais ce qui est étrange c'est que je jurerai qu'il n'était pas là lorsque je suis arrivé à proximité du banc. Vois-tu, en entrant dans le parc, je regarde toujours si ce banc est libre et je n'ai pas vu de cahier, en m'en approchant, il n'y était pas plus et alors que je n'étais qu'à quelques mètres, soudain je l'ai vu.
Tu sais bien que ta vue baisse, aussi devait-il être là bien avant ton entrée au parc et tu ne l'auras point vu. Et qu'y-a-t-il d'écrit dedans ?
Écoute je ne sais pas, je crois que c'est du français.....
Du français ??
Oui....!
«Du français» murmura-t-elle pour elle même. La nouvelle, sans la plonger dans un abime de perplexité la surprenait quand même un peu. Personne à Moscou ne se serait amusé à lire ou à parler français, pas après la grande guerre napoléonienne. Seul un fou s'y serait risqué. Les Français étaient désormais ennemis jurés.
Leur fils ainé avait participé à ce conflit, se couvrant de gloire. Sur le champ de bataille, il avait trouvé dans la poche d'un soldat ennemi, des lettres rédigées dans la langue de Molière et les avaient rapportées à son père, grand curieux et fin lettré devant l'éternel, qui s'était aussitôt mis à la tâche pour déchiffrer les missives. C'est ainsi qu'il se familiarisa avec le français. Les lettres était essentiellement des lettres d'amour écrites par une femme lointaine qui se plaignait des rigueurs de l'hiver et de cette maudite guerre qui n'en finissait pas. Elle trouvait que son mari mettait du temps pour botter le c.. des moujiks.
Sortant de sa rêverie, elle interrogea:
Le peu que tu pratiques de cette langue te suffira-t-il ?
Je ne sais pas, goloubtchik *, je ne sais pas....
Il laissa tomber le cahier, surpris d'avoir senti comme... il ne savait quoi... une vibration ? Un ondoiement ? En tout cas, il avait sentit bouger dans ses mains. Il fixa de longues minutes le sol où gisait le cahier retourné et ouvert. Rien! Pas un mouvement, aucune bestiole ne sortit d'entre les pages.
Il se pencha et en même temps qu'il ramassait le cahier, il crut apercevoir un titre. Il aurait parié qu'il n'y avait rien d'inscrit sur la couverture, plus étrange encore il constata avec effarement qu'il comprenait ce qui était écrit. Ouvrant les pages, il lut:
'' Allons petit père Fédor, ne fait pas l'enfant
le temps a passé, rien ne sert de ressasser''
Sautant quelques lignes, il continua:
'' allons mon petit père Fédor, ferme ce livre et prends ta potion.''
Il tourna les pages et s'aperçut alors pourquoi il comprenait le texte. Son état de confusion était tel qu'il n'avait pas remarqué que les caractères cyrilliques de sa langue natale s'étalaient désormais sur toutes les pages, avec toutefois une bien étrange particularité, les textes semblaient ne pas avoir été rédigés par une seule et unique main. La différence entre les écritures le laissait penser...


Il s'arrêta sur un autre texte
'' bojé moï Ma très chère Anna L'vovna, quel repas nous avons fait ! Franchement étranger....''
Il continua le récit, rit beaucoup, se demandant toutefois ce qu'un polonais venait faire là.

Plus loin, il lut
'' Elle a oublié d'apprendre à lire, je le sais bien, mais j'ai gribouillé tout de même la dédicace à leurs deux noms.............''

''Mais de qui parle tous ces gens ?'' se demanda-t-il.
Il sentait intuitivement que tous les personnages décrits au fil des pages avaient un rapport entre eux Et, peut-être, hypothèse ô combien folle, pourraient même ne faire qu'un. Son cœur rata un battement à cette idée.
D'autres pages furent tournées et il vit dans un autre récit un nom russe, Ivan Vassilievitch, celui qui devait prendre une potion pour apaiser sa toux et qui finit complètement apaisé.
Il eut confirmation de ce qu'il pensait sur l'intemporalité des personnages qui se succédaient au fil des pages avec cet autre récit qui parlait de déportation dans un ''goulag.'' Il ignorait le sens de ce mot. Dans ce récit, des livres avaient été troqués contre un morceau de lard. Il discernait une sorte de morale à la fin de ce texte, morale qui dit que l'écrivain n'est pas toujours assuré de vivre de sa plume.

Le cahier lui échappa de nouveau des mains en voyant ce qui ornait la dernière page. Une peinture... mais pas n'importe quelle peinture !!!
On voyait au premier plan un homme vêtu de vert, une casquette sur la tête occupé à lire tout en tirant sur sa barbe, à ses cotés se tenait une femme qui lui tendait une cuillère à portée de la bouche. Il ne pouvait en croire ses yeux qui pourtant ne lui mentaient pas. Ayant récupéré le cahier, il se tourna vers son épouse et c'est les mains balbutiantes qu'il lui présenta l'image. A sa vue, la vieille dame défaillit et se répandit sur le sol.
-Quelle est cette sorcellerie ?!!?? tonna-t-il. Comment est-ce possible ???
Se tournant de tous côtés tel un derviche, il s'aperçut dans le miroir pendu près de la porte que sa casquette jaune était de travers et que sa tunique verte avait besoin d'un bon lavage.
Il lui fallut alors admettre l'inadmissible, concevoir l'inconcevable. Dans ce maudit cahier, on parlait de lui, de sa femme. Ils étaient mis à toutes les sauces, présentés sous maints angles différents. La tête lui tourna et le cahier qui pendait au bout de son bras lui échappa une troisième fois, tomba au sol et se referma. Sur la couverture, on put alors voir le titre tracé en caractère rouge et en français:


LE BLOG MILETUNE


*Goloubtchik = Petit pigeon en russe amoureux

Les textes cités dans ce récit ont tous été publiés sur le blog.
Merci, à Dysis, Joe Krapov, Eva, Emma et Annick SB ainsi qu'a tous les autres auteurs qui font vivre ce site, pour l'emprunt que j'ai fait de leur texte.


GéS

commentaires

G
<br /> <br /> Oui, dans mon immense mansuétude je pardonne l'erreur. ( rires )<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Magicienne des textes, tu les bouscules et les fais revivre en imaginant une histoire tout à fait cohérente. Quelle originalité ! et quelle dextérité ! C'est super.<br /> <br /> <br /> Monette<br />                                                                                                                                                    <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
S
<br /> <br /> La magicienne est un homme mais je pense qu'il te pardonnera l'erreur !!!!<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> <br /> Un melting-pot et un livre un brin magique, tout cela grâce à Miletune et à ton imaginaire très en verve.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
D
<br /> <br /> superbe idée superbement réalisée<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
O
<br /> <br /> Bravo pour la construction, l'imagination, l'écriture... même si j'ai reconnu des bouts de textes (fedor) je me demandais bien où tu allais. c'est très réussi.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> Excellent ! Bravo<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
E
<br /> <br /> savoureux, et fichtrement habile ! Emma<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> J'adore ton humour ! Et c'est vraiment une chouette idée que tu as eue là pour ce texte... fantastique ! Gogol, son manteau et son nez ne sont pas loin !<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
Y
<br /> <br /> Un vrai petit bout d'art. Arlequin n'a qu'à bien se tenir. Patchwork, petits bouts de puzzle, et voilà l'histoire à l'infini. Sympa le petit cli d'oeil à mon texte. Si si, je l'ai trouvé.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> C'est super de faire vivre les personnages du tableau dans une forme de magie et de mise en abime . Et merci pour tous les petits clins d'oeil sur nos textes : très sympa !<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre

  • : Mil et une, atelier d'écriture en ligne
  • : atelier d'écriture en ligne
  • Contact

Recherche

Pour envoyer les textes

Les textes, avec titre et signature, sont à envoyer à notre adresse mail les40voleurs(at)laposte.net
 

Infos