Il existe un pays où les mains sont sacrées ; les êtres qui l'habitent sont minuscules et ne se remarquent pas.
On dit qu'ils servent la Mort ...
C'est le pays des doigts agiles, des doigts graciles, des doigts dociles...
Dans ce pays le silence est d'ores et déjà là, la parole impossible, le regard bas.
La mort se cache là où on ne la cherche pas.
Ne vous y trompez pas !
Prenez le temps d'observer attentivement la scène.
Un homme d'église, bouche cousue, tête penchée s'interroge ; il est coiffé de vert ; c'est un homme - mystère ...
Il est accompagné d'une bigote zébrée, les plus fragiles, chacun le sait ; une dame donc tout à la fois inquiète et stupéfaite,
bouche cousue qui attend elle aussi.
Ces deux bougres ne sont pas au bout de leur surprise !
Là, sur le comptoir d'une pâtisserie de banlieue, ne voient-ils pas les mains de la tentation qui s'agitent ?
N'entendent-ils pas le chuchotis du sucre coloré ?
Ne saisissent-ils pas l'insolence de l'appétence ?
Ne comprennent-ils pas que leurs heures sont comptées comme le sont scrupuleusement les cerises à l'eau de vie sur les gâteaux du
diable ?
Comment réagir ?
Prier ?
A la bonne heure, mais en quelle langue dites moi ?
Leur bouche est une fourche qui ne veut plus parler ; elle pique les maux à grands coups de pensées ...
Apprendre ?
Oui, mais quoi ? A ne pas se laisser aller, à ne pas avoir peur, à ne pas succomber ?
Leurs paupières se creusent et s'enfoncent si profondément que le cerveau se vide...
Saisir ?
Pourquoi pas, mais comment ?
Leurs bras sont invisibles et ne peuvent attraper...
C'est terminé...
Les verbes vont toujours par trois, trois petits mots et puis s'en va ...
Il existe un pays où les mains sont sacrées ; les êtres qui l'habitent sont minuscules et ne se remarquent pas.
On dit que la Mort y emprunte la couleur des douceurs, change les bouches en fourche et, inévitablement, de ses longs doigts aux
phalanges sculptées, attrape sans hésiter chaque passant troublé ...
Annick SB