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1 novembre 2012 4 01 /11 /novembre /2012 09:20
             
    Je n'ai jamais rien tant aimé que ces moments bénis quand - ayant posé le problème au tableau - Elle venait se pencher sur chacun d'entre nous pour guider notre travail ou remettre un calcul d'aplomb.
Sans me vanter j'avais toujours cartonné en maths - surtout la table des 1 - et je n'avais jamais séché sur un robinet qui fuit ou une baignoire qui s'évapore, mais combien de fois ai-je sciemment glissé une erreur dans une opération rien que pour le plaisir de sentir au dessus de ma tête son parfum, cette troublante odeur de femme et sa profonde et rassurante respiration alors que j'étais depuis longtemps en apnée.
D'abord le regard au plafond - comme si quelque araignée allait me descendre la réponse au bout de son fil - puis la tête baissée sur l'ardoise, je guettais furtivement son approche avec un plaisir indescriptible.
Le coeur au bord des lèvres je plongeais alors comme un malotru mon regard dans le sillon enivrant de sa gorge innocemment offerte à mes seuls yeux et qui semblait ne palpiter que pour moi.
P'tit Louis, mon voisin – le forçat enchaîné au même pupitre devrais-je dire – tordait le cou afin de mieux copier mes erreurs et je crois que pendant tout ce temps il n'a jamais soupçonné mon manège.
Par crainte d'éveiller les soupçons, je me contentais d'une retenue oubliée ou d'une virgule mal placée qui m'accordait quelques instants d'exploration supplémentaire.
Je ne saurais dire ce qui du creux sombre et vertigineux ou de la blancheur laiteuse des globes me procurait le plus de plaisir car dans la nature comme dans les chiffres ou l'écriture, les pleins et les déliés, les vallons et les monts ne sauraient exister l'un sans l'autre.
J'appris plus tard - c'est à dire à l'âge où nos culottes rallongent et où l'acné maquille nos fronts juvéniles - qu'on donne une note aux poitrines des femmes.
Pourtant rompu aux mathématiques je fus profondément surpris d'apprendre qu'on attribue un nombre là où le regard et parfois les mains - pour être plus sûr - suffisent à l'appréciation de tout homme normalement constitué.
A celle qui me nota de façon si charmante je donne à mon tour un quatre vingt quinze C... et je pèse mes mots.
Je me souviens qu'Elle portait de fines lunettes sans doute par pure coquetterie car un tel regard ne pouvait avoir besoin de correction, du moins le croyais-je à l'âge où les mots myopie et presbytie n'étaient pour moi que prétexte à jouer du i grec!
J'appris dans le même temps quelle réputation on donne aux femmes à lunettes mais ayant déclamé haut et fort cette soi-disant vérité lors d'un banquet de famille, la correction qui s'ensuivit m'ôta pour longtemps toute envie d'en savoir plus sur les moeurs des binoclardes!
Combien je regrette aujourd'hui d'avoir perdu cette ardoise où Elle posa si souvent son regard et où je saurais deviner plus de soixante ans après la trace d'un doigt manucuré sur le cadre de bois...

Vegas sur sarthe

commentaires

I
<br /> Incorrigible Vegas, et cela depuis un âge très tendre !!!  <br />
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M
<br /> Un petit Spirou avant l'heure ? Pas sûre quà cette époque les "maîtresses" pouvaient se permettre des décoltés vertigineux...<br /> <br /> <br /> Toujours un plaisir de te lire.<br />
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S
<br /> Amusant ce qui se passe dans la tête d'un enfant, beau récit, bravo.<br />
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C
<br /> Malin, plein d'esprit et précoce, en math bien sûr, car après la table de 1, les robinets qui fuient et l'eau des  baignoires qui s'évapore , le petit prodige maîtrise admirablement<br /> bien  les volumes et proportions ! Belle écriture que la tienne avec des pleins, des déliés, des vallons et des monts ! De succulentes images! Merci à toi! Chloé<br />
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M
<br /> Une superbe réminiscence de gamin pas si innocent que ça!<br />
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A
<br /> On ne peut sempêcher de penser aux balbutiements d'émois amoureux d'un adolescent pour son professeur et au  film "Mourir d'aimer" tiré d'un fait divers qui avait créé tant de polémiques en<br /> son temps.<br />
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M
<br /> Quel beau texte... Pagnolesque... Avec des images qui sont à la fois si criantes de vérité et si pleines de poésie: "Le regard au plafond - comme si quelque araignée allait me descendre la<br /> réponse au bout de son fil..." Merci Végas, comme à chaque fois, vous m'enchantez!<br />
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E
<br /> ah, tu devais être  un enfant précoce ! pour avoir retenu la table de 1, aucun doute - j'aime bien tes trouvailles pleines d'esprit comme les mots " prétexte à jouer du Y grec"<br />
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M
<br /> Je n'avais pas imaginé que c'était la maîtresse qu'il pouvait regarder ainsi mais je suis une femme. je me suis bien amusée<br />
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J
<br /> Ah la maîtresse pour un enfant mâle... Inoubliable si pas une nonne ou vieille fille, ce que j'ai eu... mais bon étant une fille je n'ai accordé que peu d'importance à leur enveloppe<br /> charnelle.... J'aime ! <br />
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