Et Dèmètèr aux cheveux roux prit peu à peu sa forme terrible, grande comme un sureau, puis grande comme le frêne, puis grande comme le chêne vénérable aux branches nus, là, qui tremblait devant elle. Elle enjambait les collines de son plein royaume dans sa flânerie d’hiver. Son front était soucieux, ses seins taris. Le ciel était de plomb et les sols nus, retournés, n’étaient que des espagnes flétries et meubles sous son pas. Les arbres étaient minces comme le froid, et à regarder leurs silhouettes on voyait le ciel à perte de vue.
Toutes les espagnes et toutes leurs andalousies étaient prises à la nasse de cette mélancolie hivernale, et nue.
Dèmètèr arrêta sa marche de sept lieux parmi les affres des mortels. Un homme était là, étendu au creux d’un ventre bâti. Il était comme elle vêtu d’anachronisme. Et il était mort, la plaie torrentielle. Dèmètèr n’en fut pas affligée, nous ne nous affligerions pas du cadavre d’une souris.
Elle se dit : « ce sang mortel n’abreuve pas la terre, je le sais bien, ce sang l’entrouvre, la terre, pour rejoindre le royaume de mon frère où tous les sangs ruissellent et font la voûte crépusculaire. »
Elle se demanda : « ma fille Perséphone, ma fille pâle comme la mort, en ce royaume infernal quoique fraternel, prend-elle de la couleur sous la voûte rouge et ruisselante ? »
Perséphone, elle, languissait, devant elle la plaine aux cris sourds des hommes condamnés, eux éternels souris courant dans la roue abstraite de leurs tourments. La voûte ruisselait et les morts l’ennuyaient. Elle soupirait puisqu’Hadès viendrait encore poussant la porte comme au théâtre de boulevard, Hadès aux cheveux bleus et amant à la mauvaise mine. Ses bras maigres, à elle, peineraient à entourer le corps vieillard et branlant de son époux.
Dèmètèr avait repris proportion de femme et flânait maintenant dans quelque angleterre, dans sa robe d’hiver et sous son chapeau de branches nues. Habillée roide comme l’Angleterre elle attendait sa fille, qui ne saurait tarder sa fille.
Perséphone émergerait ci ou là d’entre la terre avec le printemps enfin épigé, parmi les bourgeons et les fleurs. Le sol qui fut nu serait vêtu de l’abstrait végétal, partout faisant traits et taches. Et Perséphone blanche et refluée de peau et du royaume du dessous rosirait sous le soleil quand la rosée emplirait ses lèvres, ses bras reprendraient vigueur, quand les jours en apnée respireraient à plein poumons les couleurs revenues. Déjà les blés épigeaient, et Perséphone souriait en son royaume entrouvert, et Dèmètèr souriait comme les blés puisaient à ses seins à nouveau vigoureux.
Quebre