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20 août 2013 2 20 /08 /août /2013 06:23

 

Mon Pierre,
 
Comme vous me manquez et comme j'aurais aimé vous accompagner dans la chaude lumière du Cannet. Mais aujourd'hui encore j'ai beaucoup toussé et taché de rouge mon mouchoir.
 
Alors que je prends la plume pour vous écrire, je me mets à rêver que vous me portraiturez habillée, tant il est vrai que cela n'est guère dans vos habitudes. N'avez-vous pas toujours préféré me saisir dans la baignoire, au sortir du bain ou vêtue de mes seuls bas noirs, ma pudeur dût-elle en souffrir ? Je me souviens du gentil Verlaine, celui qui évoquait si joliment mon "charme sombre des maturités estivales". "Elle en a l'ambre, elle en a l'ombre" ajoutait-il avec délicatesse.
 
A l'étroit dans le cadre étréci de la toile, je serais là, assise sur le vieux fauteuil  Voltaire de votre atelier, le regard  penché sur la feuille vierge, perdu dans votre souvenir, celui du maigre jeune homme à lunettes, timide et hésitant, que je rencontrai en 1893.
 
Mon corps, dont vous avez tant de fois happé le reflet dans les miroirs de notre maison, voilà qu'il serait corseté dans cette sévère robe de taffetas noir au col en v, celle que je porte toujours lorsque vous êtes absent. Dans la coque de mes cheveux auburn, un gris peigne d'écaille qui me vient de ma mère.
 
Et dans cette toile austère, à l'atmosphère intime, éclateraient seulement le jaune des meubles cirés, le rose de la pochette de mon mouchoir de baptiste et le bleu pâle de mon papier à lettres qui porte vers vous mes mots d'amour et de reconnaissance.
 
Amour pour vous, mon Pierre, qui m'avez préférée à Renée et m'aimez depuis cinquante ans. Et reconnaissance pour vous, mon peintre, en quête de la beauté pure, dont le pinceau me célèbre éternellement jeune.
 
Votre aimée, Marthe
 
 
Catheau

commentaires

E
splendide évocation de ces personnages et de leur époque, merci Catheau
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M
Une lettre qui résume avec grâce et intelligence tout une vie d'artiste et de couple et qui nous rappelle cette terrible maladie dont beaucoup de personnes souffraient à une certaine époque
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J
une lettre bien émouvante qui vous emporte dans le temps. Un temps qui s'annonce finissant. Mais Marthe ne prête guère attention à sa santé pour ne se soucier que du meilleur ...
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J
la dame au Camélias Alex.Dumas<br /> le bain du matin Ed Degas<br /> <br /> que du beau monde<br /> et<br /> pour décrire avec poésie un amour si grand!
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A
Une lettre pleine d'amour et de reconnaissance... Comme tu as bien su exprimer les sentiments de Marthe qui reste si amoureuse malgré les affres de la maladie !
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P
Oui, c'est une belle lettre, une qu'on garde dans sa poche, celle contre le coeur, comme le témoin d'un amour indéfectible.
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M
Belle lettre.. qui nous permets d'être dans l'intimité de personnages légendaires. dont le seul souvenir est un tableau un peu triste.
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C
Formidable ce texte, on se laisse emporter non seulement dans la toile mais dans l'histoire bravo
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V
J'aime beaucoup cette lettre colorée et emplie de l'amour du modèle pour son maître et mari
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J
Une chance d'avoir pour amant un peintre qui vous immortalise dans la beauté de votre jeunesse... Marthe est bien souffrante...
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